Comédie
satirique de Friedrich Dürrenmatt, mise en scène
de Alexis Barsacq, avec Agathe Alexis, Philippe Hottier, Dominique
Boissel et Frédéric Boubet.
Quand Friedrich Dürrenmatt, écrivain et auteur
dramatique suisse dont la plume est trempée dans le vitriol,
revisite "La danse de mort" de August Strindberg,
dramaturge suédois à la misanthropie teintée
de misogynie grand dissecteur désabusé des passions
humaines et de l'enfer conjugal qui a érigé le
triptyque mensonge-perversité-domination au rang des
beaux arts, cela donne "Playing Strindberg" une tragi-comédie
parodique enfantée par le couple infernal formé
par la satire et le grotesque.
Dürrrenmatt s'empare de la trame strindbergienne pour
la décliner selon le mode comique d'une comédie
qui, par le biais du rire érigé synonyme en instrument
tragique, tourne au jeu de massacre dans lequel chaque protagoniste
est comme une figure du jeu de foire toujours grimaçante
n'inspirant aucune compassion mais sur laquelle chaque coup
laisse son empreinte. Car, dans les dialogues affûtés
au rasoir, avec un art raffiné du sadisme bien tempéré,
chaque réplique laisse une estafilade sanguinolente et
douloureuse comme trace d'un meurtre symbolique.
La scénographie minimaliste de Christian Boulicaut
induit l'atmosphère oppressante et délétère
dans laquelle macère ce huis clos conjugal dont chaque
protagoniste s'est enlisé dans les regrets amers, les
illusions perdues, les échecs irrémédiables
qui se sont sédimentés pour constituer le ferment
d'une haine ordinaire, jouée et rejouée au quotidien
selon le rituel inexorable de la vis sans fin, qui consiste
à miner l'adversaire sans toutefois porter le coup fatal
qui l'éliminerait, chacun étant le reflet de l'autre.
Alexis Barsacq signe une mise en scène très réussie,
rigoureuse et savamment dosée de cette partition scandée
comme un match de boxe dont il en accentue la caractéristique
en faisant de ce duel une partie "arbitrée"
du pupitre par Frédéric Boubet, personnage qu'il
a ajouté comme élément de distanciation.
Un combat qui atteint ici des sommets de drôlerie grandguignolesque
et de fureur pathétique qui gagnent en intensité
à chaque échange et qui est relancé par
l'arrivée d'une "troisième homme" qui
relance la machine jusqu'au dénouement qui n'en n'est
pas vraiment un puisque l'enfer n'a pas de fin. Une étape
plutôt donc dans laquelle c'est la femme qui est sacrée
victorieuse par KO du mari et abandon de l'amant.
Sur scène, les trois comédiens sont époustouflants
notamment par leur capacité à incarner ces morts-vivants
qui, tels des phénix, se régénèrent
avec plus de virulence après chaque estocade et à
provoquer le rire salvateur.
Agathe Alexis est magistrale, vénéneuse à
souhait, distillant savamment toutes les nuances du cynisme,
de la séduction et de la perfidie d'une monstresse protéiforme
capable d'affronter un adversaire sanguin et colérique,
tyran domestique à la violence sourde et sournoise qui
éclate par bouffées telluriques, rôle dans
lequel s'impose Philippe Hottier.
Dominique Boissel campe avec une justesse parfaite le troisième
larron, à la fois placide et fébrile, personnage
ambigu qui tient à la fois de l'observateur, du candide
et du manipulateur. |