Quand
un lecteur ordinaire et anonyme entend les commentaires d’éminents
critiques littéraires et/ou animateurs d’émissions
littéraires, toute subjectivité intrinsèque
mise à part, il est parfois étonné de ne
pas reconnaître le livre qu’il a lu.
De (mauvaises) langues n’hésitent pas à
affirmer que certains ne lisent d’ailleurs pas les livres,
se bornant à compulser des fiches de synthèse
rédigées par leurs collaborateurs, ce qui est
au demeurant compréhensible compte tenu du nombre d’ouvrages
publiés en une année et du fait que leur compétence
pluriculturelle qui les amènent parfois à cumuler
les occupations et interventions qui ne leur laissent matériellement
guère le temps de lire.
Cela étant, le lecteur assidu qui pratique une lecture
"intégrale" peut légitimement être
abasourdi jusqu’au moment où il lira un essai édifiant
de Pierre Bayard, professeur de littérature
française à l'Université de Paris VIII
et psychanalyste, et cela n’est pas anodin, intitulé
"Comment parler des livres que
l’on n’a pas lus ?".
Il faut préciser derechef aux chroniqueurs et critiques
papier consciencieux mais débordés qu'ils ne feront
pas leurs choux gras de ce vademecum dans la mesure où
il faut entendre le terme "parler" au sens strict
du terme c'est-à-dire qu'il vise la communication orale.
En revanche, il apporte de l'eau au moulin des premiers cités.
Pierre Bayard part d'un postulat de départ en forme
de syllogisme - l’appréciation d'un livre n’implique
pas sa lecture préalable - et d'une définition
novatrice de la culture : "Etre cultivé ce n'est
pas avoir lu tel ou tel livre, c'est savoir se repérer
dans leur ensemble, donc savoir qu'ils forment un ensemble et
être en mesure de situer chaque élément
par rapport aux autres".
Par ailleurs, il estime, à la manière de Michel
Audiard, que ce n’est pas parce que l’on n'a pas
lu un livre qu’on doit s’interdire d’en parler.
Et même d'émettre un avis pertinent et d'entretenir
un échange passionnant surtout avec quelqu'un qui ne
l'a pas lu non plus.
Le but de son essai est donc de révéler des techniques
permettant d’échapper à des situations difficultueuses
en terme de communication et d'élaborer une véritable
théorie de la non-lecture.
S’arcboutant sur d’éminents auteurs, au
rang desquels Paul Valéry, Oscar Wilde, Marcel Proust
et Umberto Eco, qui ont tous mis en scène la non-lecture
ou en ont discuté et sur sa propre expérience
et pratique, il détermine six concepts fondamentaux,
tels le livre-fantôme ou la bibliothèque collective,
qui constituent l’ossature de sa démonstration.
C'est à la fois drôle et édifiant. Cela
étant Pierre Bayard manie l’humour et l’ironie
avec brio et surtout cet docte art de biaiser qui n’est
pas sans rappeler le spectacle de son homologue Gérard
Miller "La manipulation mode d’emploi" et il
n'est pas certain que les conduites à tenir qu'il conseille
soient nécessaires au vulgum pecum dès lors qu'il
indique que le discours sur les livres non lus ont pour finalité
d'inventer son propre texte et de devenir écrivain.
A vous maintenant de déterminer quel traitement vous
ferez subir à son essai selon la typologie qu'il indique
: LI (livre inconnu) LP (livre parcouru) ou LO livre oublié) |