Pascal Héni a plusieurs vies et s’amuse d’aller de l’une à l’autre sans beaucoup plus de réflexions. Il y a bien des années, il chantait dans les cafés concert un répertoire de textes de poètes mis en musiques : Rimbaud, Dante, Tristan Corbière. Le public était alors érudit, élitiste, s’accaparant jalousement son interprète de talent. Quand il avait besoin d’une petite récréation, il jetait déjà une oreille vers les chansons du monde Bollywood. On les imagine un peu sottes, mais elles savent égailler le drame et la vie de fatalités de jeunes et beaux héros, au sourire ultra bright.
Quand il voyagea en Inde, il eut la possibilité de chanter et c’est naturellement qu’il choisit un répertoire qui lui plaisait et qui rencontrerait les goûts des gens, quels qu’ils soient. Pascal Héni plongea dans un pot de couleur et en ressortit sous le masque de Pascal of Bollywood. Il remplit les salles en Inde. Enthousiaste et expressif, le public est bruyamment fanatique du phénomène français. A croire que les applaudissements ont été assez puissants, ils parviennent aux oreilles des médias français, qui s’emballent pour son histoire : celle d’un français qui fait un triomphe en Inde, après une première carrière plutôt obscure en France et qui plus est, avec le répertoire de films indiens.
Il est temps pour Pascal de revenir en France, avec un nouvel album, avec des compositions et des textes en français. Il ne renie pas son aventure, au contraire il ramène le meilleur de ses rencontres : des musiciens et des danseurs exceptionnels, des souvenirs de la générosité, une magie qui lui a porté chance.
La collaboration avec les musiciens et arrangeurs indiens l’autorise à faire travailler tout un orchestre symphonique. Quant aux textes, il s’adjoint les services de personnes inattendues : Patrick Blanc l’inventeur du mur végétal, Véronique Lindenberg monteuse, Vincent Ostria chroniqueur cinéma aux Inrocks. On note avec plus de méfiance la présence de Dominique Blanc-Francard, n’avait-il pas eu droit à son portrait dans Libération au moment de la sortie du dernier disque de Carla Bruni-Sarkozy, comme une manière détournée et de parler du disque, et de dire qu’il atteignait ainsi son bâton de maréchal… Bref, on aurait voulu connaître le disque sans nécessairement la patte de DBF.
Pascal Héni offre un voyage onirique, bien plus luxueux que ce qui peut se faire de mieux. Il chante à ce sujet que "Le luxe est pathétique… le sexe est culturel". De telles formules un peu mystérieuses, trop elliptiques, qui laissent aux phrases comme un souffle pour réfléchir. Il n’est pas de plus doux séjour que le rêve habillé d’un pyjama d’or ("dors") quand il se peuple de souvenirs d’Inde, de couleurs fauves. Les plantes y poussent en désordre, elles sont nommées par des noms-tuteur au son capiteux : "Un peu de botanique". Les palais impériaux sont dépeuplés, hantés par des ombres et des mythes anciens, qu’ils soient à Pondichéry ou à "Elseneur". Dans la torpeur moite des serres tropicales, les sens s’éveillent et accueillent le ballet des amants. A moins que l’un ne rétorque : "Tu m’ennuies, j’ai sommeil".
Pascal Héni se situe entre Philippe Katerine et Michel Polnareff. Avec le premier, il partage le sens de l’humour et la dérision qui vient interrompre de doux aveux. Avec le second, une voix belle et posée qui scintille de sourires et qui inspire le calme et l’application. Une volonté de composer une musique symphonique curieuse des musiques du monde. Existe-t-il des frontières et des chocs culturels quand il s’agit de musiques ? Pascal Héni vous répondrait que non, puisqu’il invite tout à la fois, indiens et français à prendre place sur une piste de danse sang et or, pour une chorégraphie mélangée, une boule au plafond. La musique est un supra-territoire, alors Pascal Héni s’amuse à créer un french pop glam world (liste non exhaustive).
"Tu m’ennuies, j’ai sommeil" est un succès garanti, que je vous recommande vivement avant l’été pour vous assouplir les articulations. Et de taper dans les mains, avec un sourire, tête penchée… |