Pour interviewer Sotha,
inutile de la chercher ou de la rencontrer ailleurs qu’au
Café de la Gare. Nous la retrouvons en début de soirée
en pleine répétition de sa nouvelle pièce,
dont elle assure la mise en scène, ce qui nous donne la primeur
de quelques scènes.
Sagement assis dans la salle, nous attendons sagement le feu vert
pour déballer notre enregistreur qui, selon le principe qui
veut que l’on soit toujours trahi par la technique et n’ayant
pas été judicieusement manipulé, n’a
pas rempli sa fonction. L’interview qui suit résulte
donc d'un louable effort de mémoire (sic! ) qui nous l’espérons,
et nous nous en excusons auprès des intéressés,
sera fidèle, au moins pour l’essentiel, aux propos
tenus par Sotha, Jérémy Manesse et Thimothée
Manesse dont c’est la première interview (qu’on
se le dise !) et en exclusivité pour Froggy’s Delight.
Toute réclamation déposée au delà de
quinze jours ne sera plus recevable mais promis la prochaine fois
je viens avec mon ingénieur du son !
Peut-on avoir quelques infos sur votre nouveau spectacle
qui prendra la suite de "La partenaire de l’inspecteur
Murdock" ?
Sotha : Le thème de la pièce est un
braquage de banque mais un peu singulier qui fera que les gens verront
d’une autre manière ce genre d’événement.
La première est prévue pour quand
?
Sotha : Mi-mars sauf incident de répétitions.
La pièce comporte une nombreuse et belle
distribution. J’ai vu Philippe Manesse et vos fils, Jérémy
et Thimothée, ainsi qu’Elsa Otzenberger qui jouait
dans La partenaire et Thomas Rouxel un des Roger.
Sotha : Oui et puis deux autres filles dont une petite
nouvelle qui jouera en doublure avec Elsa
Quand vous écrivez vous pensez à la
distribution ?
Sotha : Pas systématiquement. Il m’arrive
parfois d’écrire un rôle en pensant à
un comédien bien précis même si ensuite ce n’est
pas lui qui interprète le rôle en définitive.
Pour cette pièce, je voulais avoir Luis Rego mais hélas
il m’a donné son accord trop tardivement pour que cela
puisse se concrétiser.
Parlez nous un peu des Roger et de la genèse
de la pièce
Sotha : J’ai écrit les Roger en 1978
après avoir vu les 3 Jeanne. J’avais trouvé
ce spectacle un peu décevant quant à l’image
des femmes qu’il donnait. Alors j’ai voulu écrire
une pièce sur les mecs.
Les Roger ne semblent pas avoir vieilli
Sotha : Parce qu’ils n’ont pas d’âge.
Les mecs c’est les mecs. Et la pièce marche toujours
avec autant de succès. Elle a subi quelques adaptations pour
tenir compte un peu de l’évolution des moeurs. Par
exemple la scène du service militaire. Et pourtant les critiques
étaient dures. J’avais écrit la pièce
en prose vulgaire, mais vulgaire au sens d’ordinaire, de langue
commune et les gens disaient que c’était vulgaire au
sens de grossier.
Jérémy : Drôle et amusant ne veut
pas dire que ce n’est pas intelligent. Maman utilise toujours
des mots simples et compréhensibles qui racontent une histoire.
Dans cette pièce, vous est-il arrivé
de changer de rôle ?
Thimothée : Oui effectivement. J’ai joué
tous les rôles.
Et "Les blondes préfèrent leur
chien" dans laquelle joue votre fille Manon Rony?
Sotha : C’est une pièce un peu bouche
trou c’est-à-dire que je l’ai écrite pour
qu’elle soit jouée en attendant d’autres spectacles
avec le bol de soupe et le verre de vin rouge. Elle durait une heure
et en ce moment elle a tendance à prendre un peu de ventre
car elle marche bien.
Le Café de la Gare a été une
pépinière d’artistes. Est-ce encore le cas ?
Sotha : Oui. Récemment, il y a eu Christophe
Guybet. Mais on ne peut pas savoir si parmi les jeunes qui jouent
aujourd’hui il y en aura qui feront une carrière.
Jérémy : D’autant que la notoriété
est souvent une question de chance et d’opportunité.
Nous avons tous des exemples d’acteurs moyens qui ont réussi
et d’autres très bons qui continuent à peu travailler.
Faites-vous appel à des comédiens
extérieurs à la troupe du Café de la Gare ?
Sotha : Oui, cela arrive. Je fais passer des auditions.
Mais je n’aime pas cela car il faut faire des choix parmi
des acteurs qui sont parfois très bons. Je n’aime pas
les auditions. Cela me rappelle le couloir de la honte. Nous appelions
ainsi le couloir sur lequel donnaient les bureaux des réalisateurs
de télé rue des alouettes et où l’on
arrivait le matin avec des sandwichs et jusqu’à six
heures du soir nous toquions à toutes les portes pour essayer
d’avoir une chance de pouvoir au moins faire une audition.
Les assistants des réalisateurs, car on ne voyait jamais
les réalisateurs, passaient la tête par la porte et
la refermait très vite en voyant cette file de gens qui attendait.
Tous ceux qui sont passés par le Café et qui ont fait
carrière n’ont pas connu ça. Comme Miou Miou
par exemple, ils ne se rendent pas compte de la chance qu’ils
ont eu.
Jérémy : C’est assez humiliant,
c’est vrai, d’être obligé de se vendre.
Votre mise en scène est-elle tirée
au cordeau ?
Jérémy : Maman nous laisse toujours
des plages pour l’impro
Sotha : Mon souci n’est pas de faire une stricte
direction d’acteurs. Je m’attache plutôt à
la musique de la pièce, au rythme.
L’impro est fréquente, systématique,
variable ?
Thimothée : Il y a presque toujours une part
d’impro mais cela dépend aussi beaucoup de la réactivité
du public.
Sotha : Samedi, la pièce a duré près
de deux heures tellement le public riait.
Je vous ai vu prendre les mesures des comédiennes.
Vous êtes non seulement auteur, metteur en scène mais
vous occupez aussi des décors et des costumes ?
Sotha : Oui cela me détend et puis comme cela
je suis sûre d’avoir ce dont je rêvais pour la
pièce.
Vous avez le temps de tout faire ?
Sotha : Oui, le rythme de travail ici n’est
quand même pas très stressant. Ainsi pour les répétitions,
comme nous sommes dans notre théâtre nous pouvons répéter
sans trop de souci de temps
Vous écrivez souvent ?
Sotha : Non. Je n’ai pas des tiroirs pleins
de pièce. Je n’ai rien. Je n’écris bien
que dans l’urgence, sous la pression.
Jérémy : Maman a besoin qu’une
date soit fixée pour la première pour commencer à
se mettre à l’écriture
Avez-vous joué ailleurs qu’au Café
?
Thimothée : Oui, j’ai beaucoup joué
dans des téléfilms Navarro, Julie Lescaut. Mais j’ai
arrêté les castings parce que l’on ne me proposait
que des rôles de racaille. Au début ça m’amusait.
Maintenant, ça ne m’amuse plus. Je n’en fais
plus.
Le théatre c’est atavique dans la famille
ou une simple coïncidence ?
Thimothée : Il y a des façons de jouer
qui sont ataviques.
Comment êtes-vous venu au théâtre
?
Thimothée : J’ai toujours eu envie de
faire du théâtre. J’ai arrêté l’école
à 16 ans. J’étais un cancre. Le directeur m’avait
même demander des excuses publiques que je n’ai jamais
voulu faire car il s’agissait d’un acte humiliant et
inacceptable.
Sotha : Nous avons été étonné
de voir qu’il pouvait réciter des pages de textes alors
qu’à l’école il était incapable
d‘apprendre une leçon.
Tous mes enfants ont eu des difficultés avec le milieu enseignant.
Jérémy : Oui, il en a été
ainsi également pour moi mais plus tard au cours de mes études
Sotha : Manon a vraiment été dégoûté
de l’école et pourtant elle était dans un lycée
qui possédait des options artistiques. Elle faisait pourtant
de bonnes choses mais ses professeurs avaient une attitude très
féroce à son encontre parce qu’elle était
issue du Café de la Gare.
Thimothée : Au début ça s’est
mal passé parce que mes parents ne m’ont jamais poussé
à faire du théâtre. Mon père surtout
a tout fait pour m’en dissuader au point où pour mon
premier passage sur scène, c’était pour le graphique
de Boskop, il m’a tellement rendu la vie impossible que j’avais
dit que je ne jouerais plus jamais dans ce théâtre.
Sotha : Son père connaît les risques
de ce métier incertain. Sa réaction était normale.
Quels sont les avantages et les inconvénients
de jouer en famille avec notamment votre mère comme metteur
en scène ?
Thimothée : Il n’y a pas vraiment d’inconvénient.
De toute façon, je n’ai jamais de problèmes
avec les metteurs en scène parce que je suis très
respectueux de leurs indications.
Pourriez-vous jouer dans un autre théâtre
?
Thimothée : L’avantage ici c’est
de jouer avec des comédiens qui sont des amis, que l’on
connaît bien. Ailleurs, je ne pourrais pas jouer seul. Je
n’aime pas les one man show. J’aime les histoires.
Sotha : Surtout pour Roger qui est une pièce
qui repose sur cette entente et cette camaraderie. Et puis, les
comédiens sont à l’écoute de leurs partenaires.
Si un soir, l’un d’eux n’est pas en forme, les
autres peuvent le relayer en quelque sorte.
Jérémy : Il y a toujours dans les pièces
des moments, des petits morceaux de bravoure, où chaque comédien
peut montrer ce qu’il sait faire et ce qu’il a envie
de faire. L’essentiel est de prendre du plaisir à jouer
et à amuser les spectateurs.
Sotha : A l’époque les critiques étaient
très virulents à notre égard. Pas tant pour
les spectacles parce qu’ils n’en parlaient jamais. Jamais
un mot sur les pièces. Ils se bornaient à écrire
que la salle était moche, qu’on était mal assis.
Au mieux, il parlait de la roue (NDLR : la roue de loterie qui déterminait
le prix des places et qui trône toujours dans le hall d’entrée
du Café) ou de la soupe. Et puis ils n’étaient
pas contents parce qu’on leur faisait payer leur place alors
qu’ailleurs ils arrivaient avec leur carte de presse et on
leur donnait gratuitement toutes les places qu’ils voulaient.
Et puis les spectateurs, enfin une certaine catégorie, ne
voulaient pas mettre les pieds ici. Ça a un peu changé
quand même.
Sotha : C’est un lieu un peu particulier quand même.
Ainsi il nous est arrivé de recueillir des spectacles qui
avaient démarré dans d’autres salles et qui
ne marchaient pas très bien et qui joués ici ont fait
un gros succès. Ça tient à peu de chose.
Sotha : D’ailleurs ça me pose toujours
un problème pour les affiches car ils portent tous les trois
le même nom. Alors je suis obligée de les intercaler
avec le nom des autres comédiens.
Les anciens du Café qui sont devenus célèbres
reviennent-ils vous voir pour jouer ici ?
Sotha : Non, c’est très rare
Jérémy : On ne peut pas leur offrir
les mêmes cachets et puis il leur faudrait une grande humilité
pour revenir jouer ici. Certains viendraient bien faute de mieux
parce que la notoriété n’est pas permanente,
elle est en dents de scie. Mais ils viendraient avec à l’esprit
qu’il s’agit d’un pis-aller. De toute façon,
ils ne reviennent même pas parce qu’ils sont toujours
en attente d’un grand rôle.
Sotha : Certains comme Elie et Dieudonné ont
voulu faire leur dernier spectacle ici. Smaïn, qui s’est
maintenant plus orienté vers la production, vient souvent
pour nous saluer.
Peut-on dire que le Café de la Gare s’est
institutionnalisé ?
Sotha : Il y a 30 ans, régnait au Café
de la Gare une joyeuse anarchie. On travaillait un peu quand on
voulait – il nous est arrivé de jouer à quatre
une pièce à neuf personnages - et on se partageait
la recette et il n’y avait pas de bulletin de salaires etc.
Tout cela a changé bien sûr. Nous sommes rentrés
dans le rang. Mais le Café de la Gare n’est pas une
institution. D’ailleurs qu’est-ce que cela signifie
en matière théatrale ?
Vous étiez aux débuts du café
de la Gare. L’esprit en a-t-il été maintenu
?
Sotha : Je ne regarde pas trop vers le passé.
Les choses ont changé. Mais on peut dire que le Café
c’était une troupe où il n’y avait pas
de rôle bien défini. Il n’y avait pas d’un
côté les acteurs, de l’autres les techniciens.
Chacun participait à toutes les phases d’élaboration
du spectacle. En ce sens, il en est encore ainsi. Ainsi Philippe
Manesse est arrivé tout jeune à 21 ans pour décapsuler
les bouteilles. Après il est devenu régisseur au péril
de sa vie.
Et l’avenir du Café ? Vous avez 4 enfants
qui font tous du théatre. Prendront-ils la relève
?
Sotha : C’est déjà fait. |