Dans la collection dirigée par Guillaume Dustan (Le rayon), Laura de Laurent Herrou tient une place particulière. C’est une œuvre avant tout personnelle, mais c’est également un ouvrage qui a subi l’influence de son éditeur (à l’instar de Nicolas Pages et surtout Génie Divin de Guillaume Dustan, Laura est un livre soumis à l’éclatement formel). Bref, on pourrait songer à Son histoire de Julien Thèves ; cependant que celui-ci échoue à en faire un livre aussi réussi que Laura.
Laurent Herrou est loin d’être, malgré tout, l’égal de Dustan ou de Rémès sur le plan littéraire. Mais, dans Laura comme dans son livre suivant Femme qui marche, il dévoile une personnalité qui mérite à la fois estime et attention.
Au départ, Dustan devait publier une première version intitulée Laura et comprenant quatre parties (Maison Blanche, Toulouse, Paris et Écoute). Les trois premières racontent une banale histoire amoureuse entre l’auteur et un fleuriste appelé Georges. Toutefois, la quatrième partie, après ce début que l’on peut juger laborieux, révèle le talent de Laurent Herrou. Il s’agit de discussions de type téléphonique entre deux personnes qui donnent un aperçu éclairant, parce que synthétique, sur le caractère de leur auteur.
Guillaume Dustan avait surtout été attiré par Écoute : à son sujet, il évoquait Marcel Duchamp et l’art contemporain. Il avait compris non sans raison son importance, voire l’innovation que cette partie apportait à la littérature. Nous sommes, cependant, loin de la gratuité du procédé stylistique employé par Nicolas Pages dans Je mange un œuf.
D’autant plus que Laurent Herrou nous fait part dans son journal (Avant), ajouté à la suite de Laura, de l’élaboration du livre en lui-même. Ainsi, nous savons que le bouquin aurait dû s’appeler Gris de la Garonne que suivait donc Écoute. L’on apprend ensuite que, alors que Dustan prévoyait la publication du livre en septembre 1999, celle-ci fut repoussée à une date ultérieure, et que Herrou offrit en supplément ce journal inspiré de l’écrivaine Anaïs Nin. Comme je le supposais déjà à la lecture du commencement de ce roman révélant du genre autobiographique ou autofictionnel, le journal (que je trouve le plus réussi du livre) révèle un Laurent Herrou qui, en tant qu’homosexuel, culpabilise et vit sa relation avec les hommes de manière passive. Parfois, le personnage de Laurent Herrou nous fait songer au caractère féminin si bien décrit par Marcel Proust dans À la recherche du temps perdu.
Herrou se montre à la fois inconstant et velléitaire quand il s’agit de prendre une décision. Au moment où Guillaume Dustan fait la promotion de sa collection qui débute avec la publication des Monologues du vagin de Eve Ensler et Ogres de Pier-Angelo Polver (d’après Herrou, si le livre de Ensler est salué par la critique, il n’en est point de même de l’ouvrage de Polver), Herrou, en raison de la parution prochaine de Laura, se sent contraint de défendre Le rayon face à tous ses détracteurs. Mais il oublie très vite ses résolutions face au jugement de son compagnon Jean-Pierre : selon celui-ci, Guillaume Dustan peut très bien se débrouiller tout seul. D’autre part, Laurent Herrou qui n’est pas dupe de lui-même et de ses défauts provoque paradoxalement un comique involontaire par ses habitudes quotidiennes de se masturber devant des images de cul trouvées sur internet, et sa situation de "femme au foyer" qui prend parfois la pose pour des étudiants ou des photographes. D’ailleurs, Herrou a des complexes sérieux au sujet de sa beauté : il craint la calvitie qui touche les trentenaires et aime que d’aucuns remarquent son charme dans la rue.
Toutefois, Laurent Herrou ne fait plus rire lorsqu’il s’interroge sur l’identité sexuelle à partir de ce polar (L’autre Paul) qui termine ce livre. L’autre Paul annonce sans conteste son deuxième roman Femme qui marche dont il est fait mention dans le journal. À partir d’une enquête policière menée par un inspecteur de police qui recherche Paul Vermont, prostitué disparu dans la nature après un passage à tabac qui lui a fait perdre la mémoire, Herrou, quittant l’autofiction chère à Dustan, réfléchit, en effet, sur la sexualité en général et sur cette partie féminine qui existe chez lui en particulier. Tandis que l’inspecteur découvre Paul après une disparition de quelques années, ce dernier retrouve la mémoire. Il pousse celle qu’il aime, Valentine Longman, à la mort. Cette dernière n’a pas supporté le passé de son amant et s’est jetée par la fenêtre.
Conséquemment, comme le titre de ce livre l’indique (Laura/Laurent), Laurent Herrou vit sa part féminine tout comme son homosexualité dans la culpabilité. Il ne peut s’accepter tout à fait, car ses parents ne lui ont pas pardonné non seulement son homosexualité, mais aussi le fait que son frère cadet Mathieu soit lui-même gay, comme si la faute incombait fatalement à l’aîné. Je dirais pourtant que, au-delà de l’interrogation personnelle, Laurent Herrou rejoint le questionnement fondamental de Sigmund Freud, c’est-à-dire celui sur l’absence de frontière imperméable entre les sexes. |