Il y a des livres qui, bien que datant de quelques années, sont toujours d’actualité.
Il y a des livres qu’il faut lire, s’ils ne l’ont pas déjà été, et relire pour se remettre en mémoire certaines évidences que trop souvent on oublie, parce que la vie est ainsi faite, qu’on se laisse déborder par le quotidien et les broutilles, par la résignation et la lassitude.
Je suis Noir et je n’aime pas le manioc de Gaston Kelman fait partie de ces livres qu’on se doit d’avoir dans sa bibliothèque, en poche il ne prend guère de place, ou eu entre les mains au moins une fois.
L’auteur nous raconte son parcours de jeune cadre noir dans le monde du travail français, sa vie quotidienne et celle de sa famille dans notre pays. D’anecdotes en réflexions sur la place des gens de couleurs dans notre société française, il balaye le vaste champ des stéréotypes et lieux communs du racisme ordinaire.
Bien sûr, cet ouvrage n’est pas parfait. Il y a des répétitions, des chapitres redondants, d’autres incongrus – comme celui composé uniquement de "blagues" sur les noirs. Mais peut-être est-ce ce qu’il nous faut, dans notre société où tout va vite, où l’information à l’instant énoncée est déjà dépassée et oubliée. Répéter, revenir encore et encore sur certains points pour mieux nous faire comprendre ce paradoxe : dans notre pays multicolore, notre œil s’obstine à occulter certaines nuances de peau.
A la manière de Socrate, il truffe son discours de questions, laissant ainsi au lecteur un peu du travail de la réflexion. Car ce que l’on apprend par soi-même est généralement mieux acquis. Et ces pertinentes questions nous interpellent : pourquoi un noir ne pourrait-il pas être bourguignon ? En quoi un enfant né en France, ayant été nourri avec des produits français, ayant été à l’école française, ayant regardé sa télévision, aurait-il plus d’accointances avec le pays de ses parents qu’avec celui de sa naissance ? Comment ce même enfant pourrait-il connaitre les réalités de la vie dans la savane africaine, lui qui n’a connu que la vie en appartement avec eau courante et électricité ? Comment pourrait-il savoir chasser alors que sa nourriture vient du supermarché ? Pourquoi s’obstine-t-on à coller sur les personnes bronzées ces idées reçues qu’ils ont le rythme dans la peau ou sont polygames ? Par ces questions qu’il se pose, qu’il nous pose, Gaston Kelman nous dérange, nous énerve lorsqu’il généralise certains comportements racistes à toute la population française, nous bouscule en nous rappelant ces situations et ces affronts, dont nous avons tous un jour été témoin.
Ce livre, mélange de pamphlet contre la discrimination, de réflexion sur comment stopper le racisme et d’ode à son pays d’adoption est, comme son auteur, un melting-pot qui ne laisse pas indifférent. C’est un livre utile, car les idées reçues ont la vie dure. Pour preuve, encore aujourd’hui, pour certains de nos voisins, nous autres français sommes râleurs et sales, ne pouvons sortir de chez nous sans béret ni baguette de pain… mais heureusement nos femmes sont jolies ! |