Le degré d’intimité qu’installe d’emblée Julien Baer avec l’auditeur pourrait rivaliser avec celui des premiers albums de Leonard Cohen – si j’osais la comparaison. La voix, sans murmurer, possède assurément une vertu consolante, susceptible d’apaiser quelques déroutes existentielles.
La sortie de chaque nouvel album de Baer reste en soi un petit événement, que l’on se gardera bien de crier sur tous les toits. Ne divulguer ce secret qu’avec parcimonie : prendre garde à ne pas avertir ceux qui risqueraient d’y laisser leurs gros doigts, et leur vulgarité. D’autant plus que l’absence de notoriété du chanteur constitue en fait sa force. On n’aime rien tant que ces groupes discrets, abonnés à toutes nos compilations Best of.
La singularité de J. B. se révèle dans le dépouillement de chansons pourtant musicalement sophistiquées. Influences revendiquées : Serge Gainsbourg et Phil Spector – d’où ce génie mélodique, ces textes à la fois graves et légers, ces arrangements millimétrés. "Mon obsession, c’était les mélodies", explique l’intéressé dans une récente interview. Mais cette pop mélancolique se permet toutes les audaces. Résumons :
En 1997, l’émouvant premier album Julien Baer, élevé au grand air de la pop anglo-saxonne, traversé par des harmonies Bossa qui donnent à l’ensemble une fraîcheur, album dont les défauts ont fini par se révéler indispensables, Rosebud de mes années parisiennes avec les inoubliables "La bataille la plus dure" et "Marie pense à moi".
1999, deuxième album Cherchell, convoquant en plus des racines pop anglaises des orchestrations à la Barry White, agrémentées d’un désespoir rageur – réécoutez "A plein temps" ou "Ne te retourne pas".
Baer surprendra en 2005 avec Notre Dame des Limites en ajoutant, à la tonalité habituelle de sa musique, des rythmiques soul, samples funky et autres convulsions dub et africaines. L’austérité de cet album a dérouté certains passionnés, dont je suis.
Enfin, Le La (2009) – album court (trente minutes) mais dense – qui renoue avec le dépouillement du premier album, en l’accentuant : maturité, justesse, limpidité de la mélodie, harmonies complexes, quelques rythmiques brésiliennes, et toujours cette voix rassérénante, disant avec douceur la tragédie du monde (l’amour la solitude bien sûr). Ces chansons, assurément, sauront s’imposer d’elles-mêmes à l’ombre de la célébrité, entières et dignes.
S’il vous prenait l’envie de réaliser un "Best of Chansons Françaises" pour parcourir cet été, en voiture, les routes belles et tristes de Bretagne, je ne saurai trop vous conseiller d’intercaler, entre un titre de Barbara et un autre de Maud Lübeck (j’y reviendrai…) un des petits joyaux que sont "Concert Amer", "Couleurs" ou "Le La". |