Vendredi 14 août, je m’avance à l’abordage. Je navigue un peu à vue. Je n’y comprends rien, la gare de Saint-Malo et tous ces festivaliers échoués sur l’esplanade. Il est trop tôt 11h30, on ne sait quel bus prendre.
Le programme téléchargé informe : Kütu folk et The Delano Orchestra à la plage du Bon Secours. Je ne sais pas où c’est. Je connais bien les artistes de Kütu Folk pour avoir été au Nouveau Casino à Paris, lors d’une spéciale organisée par la coopérative de Mai, scène de Clermont-Ferrand. Et je les retrouve squattant pendant les trois jours du festival le stand des labels indépendants. Je n’ai pas de regrets, je me dirige vers le Fort de Saint-Père, à vingt minutes de Saint-Malo en navette, dans la campagne reculée. Cela se mérite. Il y a naturellement camping et parking à proximité. La tente à installer en 2 secondes est sans conteste la meilleure amie du festivalier.
Le Fort de Saint-Père, vendredi 14 août ouvre ses portes avec les mix de Magnetic Friends : alliances imparables et catapultages d’époques, nous ne nous ennuierons pas un seul instant quand ils assurent les mi-temps de changements de plateau.
Le premier groupe est Crystal Stilts. Electrisés par une scène qui accueillera plus tard Tortoise et My Bloody Valentine, ils n’en produisent pas moins une prestation assez comique.
Le chanteur ne quitte pas ses Ray Ban et chante comme un automate qu’on aurait remonté juste avant et le gars aux claviers lance des blagues.
Côté musique, le son n’est pas bon, le chant est bancal. Seul le guitariste sous ses cheveux, un peu à l’extérieur du désastre, sur la gauche, peut garder la tête haute. Un jeu rapide et expert lui vaut d’être sauvé à l’heure du jugement dernier. Quant aux autres, pas de quartier, on les jette à la mer.
Les suivants Deerhunter ont des allures de professionnels à peu de frais. Le son est bien meilleur. Chacun est en place, les morceaux se sont succédés de façon un peu monotone.
On sent bien que tout le monde patiente, on attend les vétérans. Deerhunter se limite à occuper l’heure d’avant. Programmés trop tôt ou manquant d’audace et de cœur, Deerhunter ne laisse pas un grand souvenir.
Tortoise arrive, la nuit est tombée et sied davantage à leurs ambiances de caractère.
Cela fait plus d’une dizaine d’années que Tortoise expérimente et marie les styles pour une musique de connaisseurs.
Pas de mélodies accrocheuses, pas de voix, autant dire pas de concessions à l’air du temps, pas la moindre œillade en direction du public. Ils creusent leur sillon avec la même technicité pour les fervents d’un rock plutôt élitiste.
A l’arrière plan, des images de formes abstraites, des recherches de formes qui rappellent Kandinski, des dessins japonais.
Tortoise continue son exploration qui les oriente cette fois-ci nettement vers le free jazz, qui conduit comme souvent à une certaine stérilité, une absence d’émotion, un numéro de cirque : sérieux, trop sérieux.
My Bloody Valentine, comme Tortoise ne sont pas programmés en France hormis à la Route du Rock. L’attente est forte, provoquant un petit exode en provenance du Royaume-Uni ou de Doulce France.
My Bloody Valentine commence par un extrait de Loveless, volume à fond. François Floret dira qu’ils ont dû négocier pour qu’ils respectent la législation et rester à 10 décibels en dessous du seuil (qui conduit à la douleur). Les voix de Kevin Shields, de Bilinda Butcher sont littéralement perdus dans ce mur de bruit. Du bruit pour du bruit. Comme l’art pour l’Art. Tout le monde est décontenancé. Il voulait que ce soit fort, mais saignant à ce point, jamais !
Alors ces quelques minutes interminables aux guitares électriques, blitzkrieg moderne, pour quoi ? Pour faire exploser la scène, je croyais bien que quelque chose allait bien péter quelque part : un projecteur, une structure, un ampli.
Pourtant, tout a tenu bon, et même les cœurs sont restés bien accrochés malgré les résonances qui nous martelaient la peau. Un ersatz de fin du monde, de guerre nucléaire, d’enfer sur terre. De la musique ? C’était finalement bien autre chose, un crash test, un ultime snipper des Bloody Valentine qu’on attendait tous bien pépères à l’image de leurs albums, qu’on aurait voulu angéliques et réconciliés. Mais indomptés et indomptables, ils se sont comportés comme des barbares, sans aucune pitié pour leur public/victimes. Jamais dans l’histoire de la Route du Rock, le son n’est allé aussi loin, je veux dire, des kilomètres et des kilomètres alentours.
Quand je pense qu’on nous encourage (c’est la mode), au "Faites du bruit" pour supporter telle cause, lutter contre tel fléau et qu’on se retrouve comme des cons, s’égosillant et tapant des mains et des pieds jusqu’à la lune…
Sans motivation apparente, sans colère politique, sans un mot, les Bloody ont eux, fait du bruit. Et bizarrement ça n’a pas plu. Une provocation qui claque comme une injure, aussi punk qu’un crachat de Johnny Rotten. Après ça, il n’y a plus qu’à se retirer, tout à sa perplexité, la curiosité ravivée pour ce groupe revenu des années 80 et "happy to be here" comme le dit Kevin Shields.
Je laisse A place to bury Strangers et son leader qui s’est fait une réputation à vendre et fignoler des pédales à effets pour guitares.
On aimerait connaître la raison d’un nom pareil et le rapport avec la quincaillerie.
Je rentre quand même à l’hôtel. |