Jean-Christophe Rufin, médecin, diplomate, témoin et dénonciateur des ravages des relations nord/sud, ne pouvait que mettre en scène ses idées sur le monde, la globalisation, la pensée unique et les pouvoirs iniques, dans son roman Globalia.
L’ouvrage se présente donc comme un roman, l’histoire, qui rappelle beaucoup celle de 1984 de Georges Orwell, du combat d’un homme qui veut fuir sa société, son monde, sa civilisation. Mais au-delà de la quête de liberté d’un homme, ce roman d’aventures propose une base de réflexion sur les possibles dérives de notre société occidentale. En prenant la forme de l’anticipation, l’auteur nous oblige à réfléchir sur le futur de notre civilisation, compte tenu des choix que nous avons déjà faits, et que nous faisons chaque jour, aussi bien collectivement – à chaque élection, chaque décision diplomatique, chaque résolution onusienne – qu’individuellement – à chaque prise de position, à chaque achat, à chaque lecture.
Le monde qu’il décrit pourrait parfaitement être possible, tant les postulats de départ nous sont familiers. Mais c’est le traitement qu’il leur inflige, poussant chaque trait marquant de notre société occidentale à son possible développement paroxystique, qui les transforme en aberrations.
Ainsi en va-t-il de la dictature des séniors, car composant la tranche d’âge la plus fournie, de la liberté d’expression étouffée par les innombrables règles "politiquement", "ethniquement", "religieusement", "historiquement", etc., correctes, des élections incessantes et inutiles, qui ne renouvèlent rien, ne changent rien, et du contrôle de la société et de chaque vie par les entreprises multinationales…. Et tout cela n’est pas sans rappeler la question des retraites, la controverse des caricatures, l’abstentionnisme aux urnes et le temps de cerveau pour un soda.
On peut ici parler d’un grand talent de l’auteur qui, sous couvert d’une palpitante histoire humaine, pleine de rebondissements, de coups du sort, d’injustices, mais également emplie des meilleurs sentiments que l’homme peut ressentir et partager comme l’entraide, la générosité et le courage, instille le doute. Le doute sur la démocratie et ses ennemis, sur l’Histoire, sur le clivage nord/sud.
Il faut espérer qu’avant que Globalia ne devienne notre foyer, avant que les sujets de désaccord que sont souvent l’Histoire, les religions, les ethnies, les opinions politiques soient supprimés, avant que le ferment totalitaire présent dans chaque démocratie s’exprime sous forme d’un syllogisme "La liberté c'est la sécurité, la sécurité c'est la surveillance, donc la liberté c'est la surveillance", avant que l’opinion ne soit complètement nivelée, le clivage nord/sud aura régressé, le partage des richesses sera plus équitable, et que la course à la consommation et à l’information sera devenue une randonnée. Belle espérance que nous délivre ainsi Jean-Christophe Rufin. |