Sur le chemin de la porte de Saint-Cloud, on se demande si la direction de Rock en Seine a décidé ou non d'interdire l'accès au festival à toute personne qui tenterait d'y faire pénétrer une bouteille d'Oasis. Et plus sérieusement, si la programmation du jour, moins attrayante que la veille, parviendra à maintenir le niveau.
Premier élément de réponse : Kitty, Daisy & Lewis. Curieux assemblage d'une batteuse parcourue de convulsions chamaniques (Kitty), d'une guitariste tâtant régulièrement du ukulélé (Daisy) et d'un pianiste gominé pratiquant la steel guitar (Lewis). Le tout forme un savoureux cocktail délicieusement rétro et furieusement rockabilly. Parfait hors d'œuvre ludique au conséquent menu qui nous attend.
Pas le temps de rester jusqu'au bout, Noisettes va monter sur la Grande Scène d'une minute à l'autre. Le trio anglais, qui n'a pas choisi son nom en hommage à une pâte à tartiner, a débarqué sur la planète rock en 2007. Par la grâce d'un premier album insolent et rugueux (What's The Time Mr.Wolf) et de prestations live incendiaires, les Noisettes ont fait leur petite place et marqué quelques esprits.
Mais ils ont visiblement décidé de viser plus haut avec leur nouveau disque (Wild Young Hearts). Par là, on entend conquérir le grand public. Au risque d'y laisser des plumes et de s'éloigner de leur spontanéité originelle ? C'est peu dire qu'avec Wild Young Hearts, les Noisettes retournent leur Perfecto. Ils troquent leur noisy-rock (vous avez dit noisy ?) pour un disco-rock taillé pour les radios FM. Et pourtant, force est de constater que l'album est une vraie réussite pop, émaillé de superbes mélodies ("Sometimes", "Every Now And Then", "Cheap Kicks", "Atticus") et très bien produit.
On ajoutera que la moitié des titres sont clairement des tubes en puissance ("Don't Upset The Rhythm" et son "Go Baby Go Baby Go !" (Garbage pourrait demander des droits d'auteur), "24 Hours", "Wild Young Hearts", "Never Forget You", "So Complicated", "Saturday Night").
Ce virage à 180° place Noisettes sur les rails du succès. Mais il fait surtout écho aux changements de direction similaires opérés récemment (avec différents degrés de réussite) par les Yeah Yeah Yeahs (It's Blitz!) et Gossip (Music For Men). Ou quand la quête de la célébrité n'exclut pas de vendre son âme. Le formatage radio est donc passé par là, et si les Yeah Yeah Yeahs et Noisettes parviennent à tirer leur épingle du jeu sans jamais verser dans la banalité, on ne dira pas la même chose du dernier Gossip.
Autre point commun entre les Noisettes et ces deux combos tortionnaires d'amplis : ils disposent d'un atout de taille en la personne de Shingai Shoniwa, leur chanteuse. Comme Karen O ou Beth Ditto, elle occupe tout l'espace, se donne sans calculer, nous accapare à chaque seconde. On ne la quitte pas des yeux. C'est que, outre un abattage scénique impressionnant (on la regarde, interloqué, monter les échafaudages et chanter "Atticus" la tête en bas. Sacrés abdos...) et sa splendide voix, elle dispose d'un avantage de poids par rapport à ses condisciples : un physique à tomber par terre. Malgré l'horaire matinal (15h30), nous retiendrons donc les Noisettes comme le show le plus sexy du week-end et Shingai Shoniwa comme la plus belle voix et les plus belles jambes de cette édition.
Difficile après ça pour la fluette chanteuse de The Asteroids Galaxy Tour de soutenir la comparaison. Elle se présente bizarrement attifée, avec une tenue d'actualité si l'on considère les 40 ans de Woodstock. On hésite entre la princesse et la sorcière blonde. Joli minois, sympathique voix proche de celle d'Olivia Merilahti (la sensuelle chanteuse de The Dø), mais une présence encore trop timide pour pouvoir espérer jouer un jour dans la même division que Shingai Shoniwa. Sonorités psychédéliques, refrains accrocheurs, mélodies entraînantes ("Around The Bend", "Lady Jesus") : ce groupe danois s'avère être une bonne petite trouvaille pop sans prétention, malgré des chansons un poil répétitives. Un groupe à suivre
Ebony Bones : décidemment, après Noisettes, les filles de caractère sont à l'honneur cet après-midi à Rock en Seine. Le concert de la furie multicolore laisse un bilan mitigé. On a beaucoup aimé ses choristes (dansant sans aucune retenue, en transe du début à la fin du concert), son déguisement complètement barré, son super contact avec le public (elle a le show dans le sang et ça se sent), son énergie inépuisable, et on a adoré "The Musik" (appel irrésistible à la danse comme seules Santigold et M.I.A. sont capables de sortir actuellement). Mais malgré tous ses efforts, la foule est restée incompréhensiblement réservée, sans doute à cause du mauvais réglage sonore (trop de basses). Il est vrai aussi que toutes les chansons ne valent pas "The Musik" et "Warrior" et que le set de l'anglaise bariolée souffre de quelques moments faibles. L'ensemble reste de très bonne facture, mais on s'attendait à un peu mieux.
Les canadiens de Billy Talent se coltinent un nom dur à porter. Grosses guitares, son lourd et saturé, rugissements, cris stridents : leur power-rock à la Green Day, bien qu'efficace, ne nous emballe pas vraiment. Ils font le boulot, mais sans grand talent.
En se baladant de stand en stand, on tombe par hasard sur celui de SFR, où les Toulousains de The Red Lips donnent un showcase devant une bonne centaine de personnes. Energique, carré, inspiré : suffisant pour aiguiser notre curiosité. On ne serait pas étonné que l'on reparle d'eux un jour ou l'autre. Peut-être aux Avant-Scène l'an prochain ?
On tombe également sur Dananananaykroyd, élu nom de groupe le plus imprononçable du festival 2009 (pour ma part, ils seront très vite renommés en "Nananana"). Le prix du nom le plus débile a été adjugé aux Eagles Of Death Metal. On tombe sous le charme de leur "Black Wax", joué avec le feu aux fesses et crié plus que chanté. Parfaite pillule énergisante avant de plonger dans l'océan glacial et tourmenté de The Horrors.
Après un premier album bruitiste qu'on a dû écouter en tout et pour tout deux fois (Strange House, 2007), les londoniens reviennent forts d'un second album autrement plus remarquable. Son titre, Primary Colours, est une vaste blague : la mariée est bel et bien en noir.
Cette année, ils ont répondu présents (ils avaient annulé au dernier moment en 2007). Ils affichent un look sombre : jean slim de rigueur, avec mèche de préférence. Le chanteur tourne sur lui-même comme un damné, s'arrache les cheveux. On ne doit pas beaucoup se marrer chez The Horrors. Ces cinq british ne sont pas exactement ce qu'on appellerait des gendres idéaux. Ils portent d'ailleurs bien leur nom tant leur univers est noir et menaçant. Leur son froid et tranchant nous ramène droit à Manchester en 1980. Guitares stridentes et aiguisées, synthés froids à souhait : cinq spectres errent sur scène, ils ne s'adressent pas un regard. Le chanteur, Faris Badwan, fait office de prédicateur morbide, et on a régulièrement l'impression d'entendre Ian Curtis au micro. Malgré, ou grâce à cette atmosphère sombre, lourde, violente, la magie opère. Au final, le show des Horrors se révèle impressionnant, même si ce n'est pas vraiment le type de musique que l'on écouterait au réveil.
En arrivant devant la Grande Scène, noire de monde, on se rend compte que la côte de popularité de The Offsping est au beau fixe. Pourtant, les vétérans du punk ne sont pas franchement excitants musicalement parlant depuis la fin des années 90. Ils font d'ailleurs bien leur âge : les crânes se sont dégarnis et les ventres ont légèrement gonflé. Les Californiens alignent leurs tubes passés ("Come Out And Play", "All I Want", "Pretty Fly (For A White Guy)", "Hit That", "The Kids Aren't Alright"), chacun étant accueili par une ovation. Le public, venu en masse, est à fond. Il connaît les refrains par cœur, s'époumone. De notre côté, on regarde ça comme on reverrait un pote de collège perdu de vue : amusé, mais pas franchement convaincu de l'utilité de la chose. On pourrait ajouter que les américains ont l'air de se prendre au sérieux, n'adressent pas un mot au public, que Dexter Hollan chante régulièrement faux et que, cerise sur le gâteau, il nous a littéralement assommé avec un titre au piano absolument calamiteux.
La soirée commence très bien avec un set énergique de Calvin Harris, parfaite machine à danser électro-pop. Le public approuve et se trémousse au rythme des nouveaux titres de l'anglais. Son second album, Ready For The Weekend, s'avère aussi efficace que le précédent, dont Calvin Harris rejoue certains titres (notamment l'excellent "Merrymaking At My Place").
On change complètement de décor avec Faith No More, un des concerts-événements du festival (ce groupe culte des années 80 et 90 revient pour la première fois en France après dix ans de séparation). Un immense rideau rouge est déployé en fond de scène et les musiciens sont sur leur 31. On découvre un groupe en grande forme et affuté. Le show, servi par des guitares incendiaires, est d'une grande férocité. Mike Patton, le chanteur à la présence animale, rugit, bondit aux quatre coins de la scène. Mais rien n'y fait : on a du mal à comprendre le statut de groupe culte de Faith No More, et ce n'est tout bonnement pas notre tasse de thé.
Du coup on file voir School Of Seven Bells sur la scène de l'industrie. On y trouve des guitares bourrées d'écho, des voix aériennes splendidement entremêlées, un chant éthéré et monocorde, un tempo lancinant donné par une boîte à rythme. On a du mal à rentrer dedans au début, mais plus le concert avance, plus on apprécie.
Le final de ce samedi est orchestré de main de maître par Birdy Nam Nam. Le gang électro français se distingue par sa formation : 4 membres, alignés devant nous, avec chacun un rôle bien défini et une personnalité propre. Ce qui les rassemble, c'est leur envie visible d'en découdre. Car l'enjeu de leur set est clair : nous en mettre plein les oreilles et plein la vue. C'est fort réussi et les spectateurs, en transe pour certains, passeront un peu plus d'une heure à sauter et crier.
Malgré un final un peu trop long et un amour un peu trop prononcé pour le PSG (ils font crier au public "Ici, c'est Paris !" : on a envie de leur répondre que les fans du club de la capitale présents à Rock en Seine doivent se compter sur les doigts de la main), les Birdy Nam Nam remportent la partie haut la main à coup de montées épileptiques. Accessoirement, il est très instructif et agréable pour les spectateurs de voir sur les grands écrans les 4 DJ mixer en direct. On comprend alors un peu mieux ce qu'ils fabriquent sur leurs platines.
Dernier détail, qui peut s'avérer insignifiant mais qu'on se plaît à trouver fort révélateur : en patientant avant Offspring, le public lance un jeu grandeur nature intitulé "coucou, filmez-moi !". Le but est de se faire repérer par les cameramen pour passer sur les grands écrans et faire coucou à la foule. On voit alors des dizaines de personnes monter sur les épaules de leurs voisins pour obtenir leur quart d'heure de gloire warholien. Un individu montre même son postérieur à la face des milliers de spectateurs. Pas rassasiés, les festivaliers reprennent ce jeu grandeur nature avant Birdy Nam Nam, mais en mieux : là, les nanas filmées, peu farouches, montrent leurs seins, déclenchant une vague de plaisir chez les mâles de l'assemblée. La morale de cette histoire ? Un : certains sont vraiment prêts à tout pour passer à la télé. Deux : même avant, Birdy Nam Nam c'est carrément plus excitant qu'Offspring. |