Arrivé au Domaine National de Saint-Cloud en avance, il est impressionnant de contempler le site complètement nu et se dire que dans quelques heures, 30 000 personnes se compresseront devant la grande scène pour voir les rois déchus de la brit-pop (depuis 1997, vous me direz).
Il est d'ailleurs question d'Oasis dans les colonnes du 20 minutes de ce vendredi. Un article au ton volontairement décalé s'intitulant "Le pire festival de tous les mauvais temps" tente de prédire, avec une chronologie minutieuse et une bonne dose d'humour, la façon dont Rock en Seine pourrait tourner en fiasco total. Voilà ce que cela donne : "Vendredi 19h04, en coulisses les frères Gallagher en viennent aux mains lors d'une discussion à propos du plus mauvais chanteur du monde. Noel soutient que c'est Jay-Z, tandis que Liam estime que Damon Albarn est encore pire". Nous ne saurons sans doute jamais le fin mot de l'histoire, mais une chose est sûre : les deux crétins mancuniens se sont effectivement foutus sur la gueule un peu plus tard dans la soirée, avec les conséquences que l'on sait. Nous y reviendrons.
Pour l'heure, nous n'avons d'yeux que pour James Hunter, qui est sans conteste ce qui se fait de mieux actuellement dans le rayon chanteur soul blanc. A l'image d'Eli Paperboy Reed, il recrée avec bonheur et un son volontairement vintage la soul music des années 60. L'écoute de son excellent quatrième album (The Hard Way, sorti l'an dernier), est d'ailleurs plus que vivement conseillée. Costard gris années 50, coiffure soignée qui lui donne un air de Leland Palmer (le père de Laura Palmer dans Twin Peaks), il semble rayonner sur cette Scène de la Cascade. Sans doute habitué aux minuscules clubs, ce n'est que justice que Rock en Seine lui offre l'occasion de s'exprimer devant un public plus conséquent.
Remarquablement accompagné par un orgue Hammond sosie de Bernard Laporte, une contrebasse, un batteur, un saxo alto tout droit sorti des Blues Brothers et un saxo ténor dont la tête n'est pas sans rappeler Jean-Michel Apathie, James Hunter enchante. Il enchaîne les titres parfaits, fait admirer son jeu de jambe digne de Federer et ne démérite pas non plus avec sa six cordes. Seule critique de ce concert trop court : pourquoi ne pas avoir joué davantage de titres de The Hard Way (pas de "Strange But True", "Carina" ou "The Hard Way", entre autres) ? Du coup, malgré l'excellente facture du concert, on reste un peu sur notre faim.
On change de style avec Just Jack, déjà croisé (et apprécié) ici il y a deux ans. Musique mise à part, ce british dégage beaucoup d'empathie : énormément d'envie et de plaisir à défaut de charisme, une bonne bouille, une simplicité convaincante et qui fait plaisir à voir (Kanye West ferait bien de s'en inspirer). Il harangue la foule avec succès, d'autant que les nouveaux titres accrochent immédiatement. Autant dire tout de suite que son dernier album (All Night Cinema, sorti cet été) risque de faire remuer plus d'un popotin sur les dancefloor. Pour le moment, il fait bouger celui des festivaliers, et lorsqu'il ressort de sa poche les tubes de son premier album ("Starz In Their Eyes", "I Talk Too Much"), la partie est définitivement gagnée.
Nous nous dirigeons ensuite avec circonspection vers l'autre bout du festival, où sévit actuellement le groupe anglais Keane. On se demande ce qui a bien pu passer par la tête des programmateurs de Rock en Seine pour avoir invité ces confectionneurs acharnés de pop mièvre (ce courant musical dans lequel nombres de tâcherons se sont embarqués après que Coldplay - avec autrement plus de classe - ait ouvert le sillon au début de la décennie). Il n'y a pas assez de mots pour décrire l'ampleur du désastre. On en profite donc pour faire un tour aux deux expositions Rock'Art et Rock Folio (cette année, Rock en Seine invite Robin, qui présente son projet Lift'in). Ce sont toutes deux de splendides réussites que même Keane en fond sonore ne parvient pas à gâcher.
Nous allons jeter un petit coup d'œil à Gush sur la Scène de l'Industrie avant de revenir voir Yeah Yeah Yeahs. Cette première plongée dans la cuvée 2009 des Avant-Scène semble prometteuse. Pris deux heures plus tôt en flagrant-délit de superbes chœurs pop a capella au micro de Radio Nova, ces jeunes français se débrouillent pas mal du tout sur scène. Ils ont le look, l'attitude, de bonnes chansons aux influences pop 60's dans les guitares et soul dans les voix, ils chantent bien, ils maîtrisent leurs instruments (qu'ils s'échangent au gré des chansons). Reste à cette fratrie (deux frères et deux cousins) à gagner en assurance et en profondeur, et le succès pointera sûrement son nez.
Place maintenant aux Yeah Yeah Yeahs, qui s'annoncent comme l'un des points culminants de la journée. Les musiciens s'installent, entament une intro instrumentale. Puis Karen O entre, vêtue d'une robe dorée, d'un collant vert-bleu emprunté à Veronique et Davina et d'une parure de gros confettis dorés très clinquante. Tout de suite, on ne voit qu'elle et son costume scintillant. La chanteuse illumine instantanément la scène.
Dès "Runaway", ballade déchirante qui ouvre les concerts du groupe, on est conquis. La voix de Karen O, limpide, puissante, parcourue de soubresauts, nous prend aux tripes. La suite sera du même acabit, avec une mention spéciale pour les merveilles que sont "Heads Will Roll" (le single du nouvel album des New-Yorkais), la fondatrice "Date With The Night" et ses décharges électriques, "Pin", ou encore les tubesques "Zero", "Gold Lion" et "Dull Life
Le constat est sans appel : les nouveaux titres passent haut la main l'épreuve du live. Le dernier album pouvait pourtant sembler décevant, mais tout compte fait, débarrassé de sa pesante moitié, It's Blitz devient une réussite. Des titres comme "Zero", "Heads Will Roll", "Dull Life" ou "Runaway" risquent de rester dans nos têtes pour un bon moment encore. Certes, le son du groupe est moins rock qu'à ses débuts. Les Yeah Yeah Yeahs ont évolué depuis l'aride et explosif Fever To Tell. Mais leur énergie est toujours là, et la présence magnétique de Karen O en est la plus belle expression.
Petit détour par le bar (il faut bien s'hydrater, vu la chaleur !), d'où nous suivons l'honnête et sympathique performance des revenants du ska Madness (confirmation : leur "One Step Beyond" reste, près de trente ans après, toujours aussi efficace). Place ensuite aux très attendus Vampire Weekend sur la Grande Scène. Comme Klaxons et MGMT dimanche, ils se présentent à Rock en Seine le cul entre deux albums. Le premier, éponyme, a fait sensation (à juste titre) l'an dernier. Le second est actuellement en préparation, et les New-Yorkais nous en délivrent quelques extraits prometteurs ce soir. Pour le reste, ils jouent sur du velours : les tubes du premier disque font mouche à chaque coup ("A-Punk", "Boston", "Mansard Roof", "Walcott", "Cape Cod Kwassa Kwassa", "One"...).
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, leur pop joyeuse à sonorité africaine, dansante et énergique, passe très bien dans le cadre d'un grand festival. Même s'ils semblent interloqués par l'ampleur de leur succès et par le monde présent devant eux, les Vampire Weekend démontrent qu'ils savent tenir une scène. Avant tout par la seule magie de leurs chansons, certes. Mais ils se montrent également très à l'aise, dégagent beaucoup d'énergie, parviennent avec brio à restituer la fraîcheur de leurs titres. Le public, très réceptif, reprend avec conviction les "Hey ! Hey ! Hey ! Hey" de "A-Punk" ou les "Blake's got a new face !" de "One".
On comprend un peu mieux maintenant, après ce concert passionnant, la réussite du groupe et ce qui fait sa touche si particulière. Elle tient à trois éléments : le jeu de clavier, habile et immédiatement reconnaissable, l'excellent batteur Chris Tomson, et la voix nasillarde et aigue d'Ezra Koening. Et, accessoirement, leur look premier de la classe et la gueule d'ange du chanteur, dont les filles sont folles. Le concert se conclut en beauté avec un "Walcott" des grands jours.
Nous ne nous attardons pas car Bloc Party s'apprête à monter sur scène à l'autre bout du site, sur la Scène de la Cascade. Après quelques chansons, l'ennui s'installe malgré nous. Leur show nous fait le même effet que le dernier album (Intimacy, 2008) : il nous laisse de marbre. C'est trop sophistiqué et c'est dommage, car les rares moments où le groupe fait parler son énergie rock sont vraiment excellents. On regrette aussi le manque de mélodie de l'ensemble. "J'espère qu'aucun enfoiré n'ira dire qu'on n'était pas meilleurs qu'Oasis", provoque le chanteur. Malheureusement, ça ne devrait pas être trop compliqué, Kele. Même "Banquet", jouée pied au plancher, n'y fera rien. Trop de chichi, trop de blabla. Bloc Party a depuis trop longtemps (le premier album en fait) oublié une des bases du rock : aller à l'essentiel. Grande déception.
Grande Scène, 21h50. Ce vendredi affiche complet, preuve que les frères Gallagher et leur bande attirent toujours les foules. Il n'y a d'ailleurs jamais eu autant d'Anglais(es) au Domaine National de Saint-Cloud. La bière coule à flots, et l'immense majorité des festivaliers patiente pour Oasis. Ils n'ont aucune idée de la scène qui s'est déroulée à quelques mètres d'eux, en coulisses. Ca discute, ça plaisante, l'humeur est au beau fixe, ça débat sur la meilleure chansons d'Oasis, ça se dispute gentiment autour de la question "Oasis est-il encore un grand groupe ?".
On plaisante avec nos amis sur l'épisode Amy Winehouse de l'an dernier. Puis on se fait la réflexion qu'après Yeah Yeah Yeahs et Vampire Weekend, un bon concert d'Oasis viendrait ponctuer avec bonheur une très bonne première journée. Malgré les comptes-rendus au mieux décevants, au pire désastreux de leurs concerts estivaux et les tensions de plus en plus visibles entre les deux frangins, nous restons confiants.
22h : quelque chose cloche. Le gang des branleurs mancuniens est supposé débarquer d'un instant à l'autre, mais... la scène ne semble pas prête, un nombre inhabituellement élevé de roadies s'affaire autour du matériel, on sent de la tension en coulisses. Ca bouge dans tous les sens, ce n'est pas bon signe. "Bon, ils joueront en retard", pensons-nous, un tantinet frustré. 22h02 : la barre des spots de lumière est redescendue au sol. Un frisson parcourt l'assemblée. 22h03 : un responsable de Rock en Seine prend le micro. "Noel et Liam se sont battus en coulisses. Le concert d'Oasis est annulé, leur tournée européenne également. Le groupe n'existe plus". La stupeur est totale, et les insultes ne tardent pas à fuser (ainsi que les gobelets en plastique). A chaud, on éprouve un mélange de déception, d'effarement (on savait que c'était possible mais...), et le sentiment de vivre un moment tristement historique.
En rentrant, on peut lire ce message laissé par Noel sur le site du groupe : "C'est avec une certaine tristesse et un grand soulagement que je vous informe que je quitte Oasis ce soir. Les gens écriront et diront ce qu'ils veulent, mais je ne pouvais tout simplement plus travailler un jour de plus avec Liam. Je présente toutes mes excuses aux personnes qui ont acheté des billets pour les concerts de Paris, Konstanz et Milan".
On entend parler ici et là d'une guitare appartenant à Noel et fracturée par son cadet; François Missionnier, le directeur du festival avoue que la bagarre est "allée très loin". Mais à vrai dire, cela n'a plus vraiment d'importance : Oasis, c'est fini. On conclura en constatant que cet épilogue est assez révélateur d'une carrière depuis longtemps en déclin (même si, c'est vrai, "The Shock Of The Lightning", c'est pas mal du tout...).
Outre leurs deux chefs d'oeuvre du milieu des années 90 (Definitely Maybe en 1994 et What's The Story (Morning Glory) en 1995), les vétérans de la brit-pop sont aussi connus pour leurs frasques et leurs bagarres à répétition. Les mauvaises langues avanceront : surtout. Les frères Gallagher ne se parlaient plus depuis un bon bout de temps. Qui s'étonnera donc que tout ça se termine en bagarre ? Certains prétendront que c'était écrit. Nous préférerons dire que ça ne nous surprend pas outre mesure.
Oasis est mort, vive la musique ! Malgré l'hostilité latente du public frustré, Madness accepte courageusement de pallier la défection des Anglais. Ils donneront donc sur la grande scène leur deuxième concert de la journée. Nous préférerons aller jeter un coup d'œil à Oceana qui, sur la scène de l'Industrie, propose une musique soul très sympa à écouter. Mais le cœur n'y est pas vraiment, on regarde ça de loin en sirotant notre bière. Puis Vitalic dégaine ses disques durs pour clore cette première journée avec ses bidouillages électro. Pas désagréable, mais pas transcendant non plus. On espère que le set de Birdy Nam Nam demain sera plus convaincant.
Malgré la fausse note de fin de soirée, on ressort de cette première journée plutôt satisfait. On remercie New-York d'avoir ensoleillé notre journée (Yeah Yeah Yeahs et Vampire Weekend). On se dit surtout que, décidemment, Rock en Seine semble être maudit. Après les deux annulations consécutives de la mère Amy, ce split en direct d'Oasis n'arrive vraiment pas au bon moment. Cela fait beaucoup en trois ans pour Rock en Seine, et on en vient à s'inquiéter pour la pérennité du festival : il ne faudrait pas que cette mauvaise habitude perdure. |