Opéra de Bertolt Brecht, mise en scène de Robert Wilson, avec la Compagnie du Berliner Ensemble.
Le Berliner Ensemble est une institution, compagnie fondée par Brecht lui-même en 1949. Déchu de sa nationalité allemande en 1935 par le régime nazi, chassé des Etats-Unis en 1947 lors de la chasse aux sorcières maccarthystes, il crée cette compagnie lorsqu'il revient s'installer à Berlin-Est en 1949.
Cette troupe est donc entièrement imprégnée de l'oeuvre de Brecht. C'est dès lors la mise en scène de Robert Wilson qui est la vraie inconnue de cette série de représentation. Les mises en scène de Bob Wilson ont la réputation d'être sophistiquées, proche de l'art contemporain, épurées, conceptuelles. Comment faire rentrer la fange des mendiants et des escrocs brechtiens dans les habits taillés par Wilson ?
La mise en scène est fascinante. Un ensemble de parallèles lumineuses de néon en décor de fonds ou en accessoires, des lumières sombres ou crues mais aussi aux tons pastels ou flamboyants à l'arrière lorsque l'histoire l'exige. Dans cet univers évoluent des personnages maquillés comme s'ils sortaient d'un film expressionniste muet des années 30. On pense à "Metropolis" de Fritz Lang, avec lequel Brecht collaborera à Hollywood, ou au "Nosferatu" de Murnau dont le personnage de Brown, le chef de la police, est clairement inspiré. Il y a aussi cette scène, lorsque Mackie s'échappe de prison, inspirée du Kid de Chaplin, Chaplin lui aussi inquiété par la commission McCarthy et que Brecht rencontrera à cette occasion.
C'est ainsi que Robert Wilson illustre cette histoire où Mackie-le-surineur, le chef des brigands de Londres, épouse Polly, contre la volonté de son père, Peachum, protecteur et exploiteur des mendiants de Londres. Ce conte, peuplée de personnages cyniques et sans-morale, résonne encore de manière très moderne.
Lorsque, lors du dernier tableau, Mackie, sur l'échafaud, chante "Qui est le plus grand criminel : celui qui vole une banque ou celui qui en fonde une ?", le public rit tellement cela résonne à l'aune de l'actualité récente. Ce conte amoral et cruel, mis en scène afin de rappeler l'époque de la fin du régime de Weimar, la crise financière des années 30, et la montée d'Adolf Hitler en Allemagne, nous interroge aussi sur la fameuse phrase de Karl Marx " Celui qui ne connaît pas l'Histoire est condamné à la revivre". Les princes qui nous gouvernent sauront-ils en tirer les leçons?
A l'issue de la représentation, les interprètes, en particulier Christina Drechsler (Polly), Axel Werner (Brown), Stefan Kurt (Mackie et Traute Hoess (Madame Peachum), ainsi que les musiciens ont été longuement et chaleureusement applaudis pour nous avoir fait vivre ce moment de poésie hors du temps.