Les deux frères ennemis que sont J. Mascis et Lou Barlow n’ont finalement jamais cessé de suivre la même voie, celle du rock alternatif issu du début des années 90, procédant du punk, du hardcore et des groupes garages. La scène indépendante américaine de l’époque a ainsi donné naissance au grunge, qui ne se résume pas uniquement au Nevermind de Nirvana, mais à d’autres formations, plus discrètes mais plus captivantes : parmi celles-ci, on peut retenir la schizophrénie musicale de ce brave vieux fou de Daniel Johnston, la déconstruction harmonique de Pavement, ou l’agressivité de Guided by voices. Le mot d’ordre fut de saper à leur base les sonorités aseptisées de certaines musiques pop, easy-listening et ennuyeuses. Dinosaur Jr et Sebadoh ont contribué à cette rupture avec cette musique architecturale, trop produite, si peu spontanée.
Après avoir quitté Dinosaur Jr – deux ego pour un tel groupe ne peuvent longtemps tenir sans affrontement – Lou Barlow s’est lancé dans le lo-fi (low-fidelity), et s’y est maintenu sans relâche. Goodnight Unknown constitue son deuxième album solo, et vient concrétiser, par une étonnante sobriété, ce qu’il avait déjà expérimenté avec Sebadoh, The Folk Implosion et Sentridoh. La musique reste dépouillée, rugueuse ; les mélodies dissonantes ; les chansons lentes et graves ; mais les tentations expérimentales se sont atténuées pour laisser place à un authentique savoir-faire mélodique : guitares plus légères, arrangements affinés, et une voix posée, sans nervosité, retenue malgré la tension, latente, qui ne demande qu’à jaillir, d’un moment à l’autre.
Pour certains titres ("Too much freedom", "The one I call", ou "Take advantage"), j’oserais même la comparaison – toutes proportions gardées – avec feu Elliott Smith. Un Elliott Smith sans les fulgurances mélodiques, ni l’incandescence rythmique, cela va de soi ; mais Lou B. ne cherche évidemment pas à atteindre la perfection musicale, ni le chef-d’œuvre intemporel. La majorité des titres ne cessent de rappeler que le Désordre – l’absence de contrôle − est roi. "One machine, one long fight" ou "Sharing" portent incurablement la marque, le style grunge (à ce propos, j’avance l’hypothèse que grunge et lo-fi sont synonymes, désignant la même chose, mais s’exprimant selon deux modalités différentes).
De ce disque inégal – et l’inégalité définit l’alpha et l’omega de cette musique décomplexée – il restera l’envie de découvrir la discographie, riche, de Lou Barlow – de cet artiste singulier pour lequel le meilleur reste encore à venir. |