Pièce
dramatique d'August Strindberg, mise en
scène de Jacques Lassalle, avec
Marianne Basler, Hugues
Quester, Jean-Philippe Puymartin
et Anne-Laure brasey
Dans un microcosme concentrationnaire, une garnison établie
sur une île, où il ne passe rien et où il ne
peut rien se passer, le capitaine Edgar et son épouse Alice
vivent, ressassent et jouent les couples maudits enfermés
dans un amour/haine dont ils ont exploré tous les avatars.
Couple d'autant plus infernal qu'il ne fonctionne pas selon un
simple mécanisme sado-masochiste. Ils jouent tous les deux
dans le même registre, chacun étant alternativement
victime et bourreau. Cette bataille quotidienne, ritualisée,
leur seule activité en attendant l'extinction des feux, leur
donne l'illusion d'être encore vivants.
Mais elle s'émousse avec les années et l'arrivée
inopinée d'un tiers, le cousin Kurt, suscite un regain d'intérêt
à leurs yeux. Enfin, un témoin de leurs scènes,
témoin qui est aussi spectateur, comme celui dans la salle.
Ce témoin n'arrive pas à s'impliquer dans ce duel
mortifère et il en va de même du spectateur mis en
position de scrutateur.
Il est évident que le spectacle est conçu pour captiver
l'intellect critique du spectateur ce qui annihile tout processus
d'identification. Le dispositif scénique d'une admirable
froideur esthétisante, à la fois dépouillé
et redondant sur la matérialisation de l'enfermement (la
tour ronde, les tourterelles en cage…) et les variations métaphoriques
(la symbolique de la table, table de jeu, table à manger,
chaise) contraignent les comédiens, dans un rapport souvent
frontal avec les spectateurs, à une distanciation quasi-permanente.
Proches de la déclamation, les voix claquent, scandent,
assènent sans réelle émotion, la litanie du
texte comportant parfois des tirades expressionnistes, et la mise
en scène amplifie les postures parfois figées qui
ne sont pas sans rappeler celles du cinéma muet.
Le talent inconstestable d'Hugues Quester et Marianne Basler parvient
à peine à nous faire dépasser cette immersion
dans les insondables abysses mortifères de l’âme
humaine quand intervient la fatale coupure de l’entracte.
Kurt finit par s'enfuir…heureux homme !
|