Comédie de Corneille, mise en scène de Elisabeth Chailloux, avec Raphaèle Bouchard, Frédéric Cherbœuf, Etienne Coquereau, Jean-Charles Delaume, Malik Faraoun, François Lequesne, Adrien Michaux et Lara Suyeux.

Après la parfaite réussite de "La fausse suivante" de Marivaux en 2007 et une belle incursion dans le contemporain avec "Hilda" de Marie N'Diaye en 2008, Elisabeth Chailloux revient au répertoire classique avec une fantaisie cornélienne en forme d'ode au théâtre, "L'illusion comique" dont elle propose un avatar passionnant et triomphant.

Pour mettre en scène cette pièce hors norme, qui s'affranchit des règles classiques, imbrique tous les registres, du drame à la commedia dell'arte, et réussit la performance de combiner le théâtre dans le théâtre et la mise en abyme, elle a écartée la juxtaposition ostensible et habile au profit d'une unité de ton, celui de la tragi-comédie, au sens premier du terme, qui est l'essence même de la vie qui se joue de l'humain à la manière des vers du matamore qu'elle a mis en exergue : ""Quand je veux, j'épouvante, et quand je veux, je charme".

Pas vraiment de décor : une servante, un plancher de bois, les plots des feux de la rampe, nous sommes bien au théâtre. La scénographie de Yves Collet repose, outre sur des lumières qui ressortissent au merveilleux, sur des panneaux de voile sur lesquels se projette un ciel éternel et changeant, métaphore du temps qui passe alors que perdurent le théâtre et ses thèmes emblématiques, l'amour et la mort qui sont au cœur de cet opus, et à une cimaise épurée aux portes coulissantes qui évoquent les opercules du calendrier de l'Avent avec ses surprises attendues.

Elisabeth Chailloux signe une fois encore une mise en scène d'une pertinence, d'une fluidité et d'une rigueur absolues qui, à l'image des costumes intelligemment contextualisés par Agostino Cavalca et réalisés par Claire Joly, Fanny Mandonnet et Sophie Schaal, puise dans la tradition et s'inscrit dans un respect du texte tout en étant résolument de son siècle, substituant l'incarnation à la déclamation et le sentiment à la posture.

Le spectacle témoigne également d'un vrai travail de direction d'acteurs : tout est cadré, net et sans bavures. Pour mettre en voix et en corps ce jeu de concaténations dont l'intrigue est un artifice, elle a choisi une distribution idéale et réunit des comédiens en pleine possession de leur métier et de leurs moyens.

Sous le regard de Malik Faraoun et de François Lequesne, respectivement le mage/l'auteur et le père accablé/le public, tous deux parfaits, la prestation des officiants mérite d'être amplement saluée : Etienne Coquereau aussi juste en en amant éconduit qu'en mari chanceux, Jean-Charles Delaume en matamore aussi drôle que pathétique sans verser dans la caricature, Adrien Michaux, convaincant dans plusieurs rôles dont celui de la princesse flouée.

Et puis, un trio brillant : le fougueux Frédéric Cherbœuf, remarquable tant en sémillant amant qu'en époux volage, la pétillante Raphaëlle Bouchard, qui évolue avec autorité de la jeune fille exaltée bravant tous les interdits à la jeune femme soucieuse de la foi conjugale et la voluptueuse Lara Suyeux, qui érige le personnage de suivante à l'égale de la maîtresse.

Un spectacle hautement recommandable et que chacun puisse, en retenant l'esprit de son épilogue, trouver dans les douceurs d’un spectacle si beau de quoi se délasser de son fardeau.