L'avenir est dans la cave !
En toute modestie, Folk Ad Hoc propose depuis quelques mois maintenant sur Lille une programmation aussi exigeante que son rayonnement est confidentiel, qui rend ses lettres de noblesse et son sens littéral à l'idée de musique underground : sous-sol du Drugstore, en salle voutée, souterraine, exigüe, sombre – elle aurait été enfumée dans une société où l'hygiénisme légal n'aurait pas atteint l'âge de la majorité. Petit à petit, les concerts du jeudi se sont serrés pour laisser un peu de place à ceux du vendredi, du mercredi, du dimanche... Programmation courageuse, qui voit se côtoyer les grands petits noms de la scène expérimentale et bricolo hexagonale ou, parfois, étrangère (Thomas Méry, Thee, stranded horse, Library Tapes...) et les formations montantes, souvent issues de la scène locale (Lena Deluxe, Minsurar...).
Bricoler dans le cave, quoi de plus naturel ? C'est ce qu'ont visiblement compris les formations présentent ce jeudi 19 novembre, qui ont proposé, chacune à sa façon, d'autres pistes pour aborder la musique. Amplification de rigueur, sampling bienvenu, on envisage frontalement la question de fond qui avait donné naissance aux premiers balbutiement du post-rock : comment faire du rock avec des instruments qui viennent d'un autre univers (une contrebasse, un violoncelle – une poêle à frire...) ? Comment à l'inverse, utiliser les instruments traditionnels du rock (basse, batterie et, surtout : guitare) pour proposer autre chose que du rock ?
En d'autres termes : c'est toute la question de la créativité musicale qui est reposée.
Nuage Nuage, duo/solo lillois, et David Fenech, artiste parisien, explorent la piste du patchwork plus ou moins abstrait, des ambiances complexes, des "mini-univers", sans rechigner d'ailleurs à tout côté ludique – Nuage Nuage s'amuse ainsi à passer en revue une impressionnante galerie de gadgets et bidules (il n'y a pas d'autres noms pour les décrire), pour en tirer des sons inattendus.
À l'opposé de ces sonorités, mais avec un esprit similaire, :Take:, projet solo du guitariste parisien Jérôme Boutinot (que l'on avait pu découvrir au sein des trop éphémères Stéréogrammes) explore la piste aérienne d'un guitare étirée jusqu'à l'absence de densité. À la confluence des atmosphères d'artistes aussi recommandables que Lichens, Rothko ou même Sandro Perri (Polmo Polpo, Glissandro 70).
Bien entendu, l'expérimentation a sa dure loi : tous les moments ne sont pas identiquement aboutis. Tout n'est pas lisse, tout n'est pas peaufiné. Mais c'est l'ensemble de la démarche qui est fondamental : que l'on vive, que l'on joue, en se reposant, sans hésiter, la question de la création, avec ses tâtonnements. Expérimenter, c'est d'abord chercher – à créer. L'exaltation de la démarche vivante suffit toujours à compenser une certaine imparfaiction (sic), qui est même peut-être bien réjouissante en elle-même.
Et que l'on ne craigne pas l'intellectualisme un rien autiste de musiciens-geeks, cliché du milieu expérimental.
Au Drugstore, l'atmosphère est détendue, conviviale, festive même. Malgré l'exigence de la démarche, on n'y a pas oublié qu'un concert c'est avant tout de la musique jouée par des humains pour d'autres humains. Un endroit où il fait bon retrouver le plaisir simple de la musique pour elle-même, loin des modes et du vedettariat. L'avenir est dans la cave, on vous le dit ; l'avenir, et même un peu plus.
Prochaine date incontournable : Louisville le 17 décembre – et bien d'autres... |