Sur leur site internet, les Américains de A Place to Bury Strangers vendent des pédales d’effets, qu’ils ont sans doute bricolées eux-mêmes, de façon à produire les sons les plus indésirables. Ce qui est pour eux un objectif : tordre le son, augmenter la puissance de la musique de manière frauduleuse, afin de ne pas laisser le public indemne. Les conséquences en sont terribles sur scène, puisqu’il est assuré que ce mélange d’effets a pour but de perturber les schémas classiques du rock bruitiste.
On jurerait que les murs du Grand-Mix tremblent. Les lumières s’éteignent pour laisser place à un rituel précis : comment simuler le lieu idéal pour enterrer des inconnus ; comment inventer une messe résolument moderne, une messe sans prêtres, mais avec forces prières et rituels obscurs.
Il y a des décennies de ça, un groupe s’affranchissait de la lignée rock dont il était issu, en sortant des disques audacieux, fascinants : The Jesus & Mary Chain. L’histoire du rock, avec une grande hache, était sur le point de basculer, en franchissant ainsi le mur du son. Charge électrique, guitares répétitives, volume poussé au maximum : de mauvaises idées qui allaient mener au shoegazing dans les années 90.
A Place to Bury Strangers se contente de reprendre ce flambeau, en le poussant à son extrémité : une agression électro, conjuguée à quelques réminiscences new-wave, définit un esprit malsain, détraqué, volontairement insupportable. Exploding Head : tel est le titre, bien nommé, de leur dernier album en date. Pas de quoi se taper la tête contre les murs tout de même. Le mur du son, considérablement étoffé, structuré avec des boîtes à rythmes inconfortables, semble noyer toute véritable harmonie, et toute compréhension de cette musique. Si sur les albums on perçoit correctement les agencements des sons entre eux, sur scène il n’en est rien ; l’expression globale du groupe semble se dissoudre dans un chaos bruitiste et irrespectueux.
On eût aimé que la voix puisse surmonter ces déséquilibres, cette puissance ; qu’elle s’impose et puisse se détacher de l’instrumentation. La chambre d’écho ne fait d’ailleurs que surligner cet état. Véritables descendants de Joy Division ? A confirmer… Ces New-Yorkais ont sans doute la carrure et la possibilité de prolonger cette grande lignée de la noirceur. Parce qu’ils possèdent une dimension post-punk, et sont susceptibles de détourner les structures du shoegazing, de leur faire prendre l’air, de les ouvrir à plus de clarté.
Le groupe britannique Action Beat, originaire de Bletchley, a ouvert la soirée en première partie. Si le noyau central de cette formation est composé de cinq membres permanents, il n’est pas rare qu’il compte jusqu’à une quinzaine de membres sur scène… Ils se sont ici présentés dans une certaine discrétion : trois batteurs et trois guitaristes.
On jurerait entendre un croisement (rêvé ?) entre Confusion is Sex de Sonic Youth (de l’époque punk, donc) et la dictature du Math-Rock. Parce que le nombre de musiciens n’empêche pas une précision du rythme. Il ne s’agit pas ici des Tambours du Bronx, même si la vitesse est leur grande affaire. Tout est mis en place de telle façon à ce qu’on ait l’impression d’une expérimentation et d’une improvisation permanentes. Mais l’on sent bien qu’un grand travail de coordination est réalisé ; un travail d’autant plus estimable que les morceaux correspondent à de courtes performances.
La multiplication instrumentale confère aussi un aspect visuel au groupe, qui surprend autant par ses gestuelles que par son audace rythmique. La référence à la première période de Sonic Youth s’explique par l’exécution d’un rock souvent atonal, discordant, sans concessions. Et aussi répétitif. Cette machine de guerre trouve sur scène un mode d’expression qui lui est propre, singulier. Il serait passionnant de suivre la formation entière : afin de voir comment peuvent se répondre six percussionnistes/batteurs et huit guitares… |