Texte de Nicolas Gogol, mise en scène de Hervé Van der Meulen, avec Eric Peuvrel accompagné au violoncelle Guillaume Bongiraud ou Ivan Koulikov.

"Le journal d'un fou" de Nicolas Gogol raconte l'histoire d'un homme ordinaire qui ne trouve d'autre échappatoire que la démence à sa condition et moyen de défense à un conflit névrotique.

Entre l'anomie de la grande ville, l'univers étriqué et mesquin du monde du travail dans une administration réduite à l'image d'une hiérarchisation absurde et ressentie comme une machine à fabriquer du vide, la certitude d'un avenir médiocre incompatibles avec des rêves et des ambitions trop grandes pour lui, et un amour sans espoir, un petit fonctionnaire se déconnecte peu à peu de la réalité.

L'écriture de Gogol, concise et implacable, exprime cette dérive vers la folie en combinant admirablement les registres antinomiques du pathétique et du comique, du réalisme et de l'étrange, du grotesque et du poétique et en abordant tous ses thèmes récurrents. Ce qui en fait un texte d'une grande richesse et d'une intensité poignante.

Calquée sur celle temporelle du journal, le spectacle, habilement mis en scène par Hervé Van der Meulen, est scandé par la projection d'une mosaïque d'images, images d'archives et extraits de films muets, agissant comme autant de délires assaillant l'esprit du personnage, et d'intermèdes au violoncelle dont les accents lugubres distillent un souffle haletant.

Sur la scène intimiste de la petite salle Paradis du Théâtre Le Lucernaire, accroché à un lit d'hôpital en lévitation, l'interprétation de cette folie d'un homme ordinaire par Eric Peuvrel qui évite tout le côté démonstratif et spectaculaire de la démence, et ne vise ni à illustrer le texte de Gogol, ni à clore le débat sur l'origine de la folie, est d'une sobriété et d'une justesse redoutable.

En tamisant le côté anecdotique d'une histoire écrite au 19ème siècle, il en révèle toute la pertinence au regard du discours démagogique des sociétés contemporaines qui, sous couvert de paix sociale, constituent de véritables pièges névrotiques.