Le metal est-il un genre pauvre ? C'est ce que semblerait suggérer la profusion de groupes immatures, abrutis d'une imagerie de seconde main empruntée à la littérature (gothique, néo-gothique), au cinéma (gore) et au folklore populaire (celte, viking ou chrétien, par exemple), dont les noms en "ion" ("Suppuration", "Satanik Annihilation" et autres "Bruttal Perversion") disputent à ceux en "or" ("Suppurator", "Satanik Agressor", "Perverse Bruttalisattor") la palme de l'originalité jusqu'au-boutiste.
C'est également ce que suggère la panoplie vestimentaire et accessoriale du parfait amateur de metal, qu'exemplifie à merveille sur des cohortes d'adolescents revendiquant leur différence le fameux t-shirt noir à dessin évocateur, tête de zombie ou crâne maléfique en tête, masquant la ligne malingre d'un corps juvénile dont la disgrâce n'a d'équivalent que celle du visage boutonneux et encore glabre que l'on trouve à cacher derrière un rideau de cheveux longs et parfois teints en noirs qui semblent plus faits pour se livrer à de furieuses séances de hochements de têtes promettant aux ostéopathes un bien brillant avenir qu'à la rencontre avec les instruments nécessaires à l'entretien quotidien (shampooing, brosse).
C'est ce que suggère encore, même chez les adeptes d'un âge plus avancé dont l'intelligence devrait être pleinement développée, la minutie grotesque avec laquelle on classe, catégorise, croise en genres, sous-genres, courants alternatifs, dérivés et fallacieusement innovants toujours plus nombreux (heavy, black, death, doom, grind, stoner, speed, trash, drone, symphonique, sludge, néo, nu, progressif...) une infinité de groupes relativement tous semblables, à cela près qu'ils seraient diversement avancés sur un même chemin d'une simplicité désarmante, consistant à jouer toujours plus vite et plus fort les mêmes modes de la gamme pentatonique (disons : le phrygien ou le locrien) en les recouvrant de borborygmes tantôt gutturaux et tantôt criards dont l'absence d'articulation aurait au moins cela de salutaire qu'elle permettrait de cacher avec pudeur l'ineptie de paroles sans originalité engendrées par les frustrations d'une adolescence mal résolue.
Fort heureusement, loin de l'analphabétisme sordide de ces clichés malheureusement réalistes et, pire, bien réels ; et même : malgré ces clichés, qui éloignent aussi certainement du genre les mélomanes qui n'ont pas l'heur d'avoir été décérébrés aussi sûrement que la discussion politique chasse la bonne humeur du dîner familial, quelques groupes parviennent encore à donner au genre d'autres lettres, de noblesse, de cachet, de recommandation. Quand le metal se fait musique, au service d'une expression, plutôt que genre (c'est à dire : style, mode, recette, panoplie, attirail, déguisement, affectation).
Parmi ces groupes, Pelican n'est pas des moindres. Six ans après son premier album, le quatuor de Chicago continue de proposer un post-metal instrumental, tout de riffs et de vagues de puissance. Musique intense et rageuse, renversante, tellurique, rendant enfin le metal à la maturité qu'il mérite amplement, à plus de trente ans d'âge.
Pour son quatrième LP, What we all come to need, Pelican a trouvé refuge chez Southern Lord, l'écurie de Greg Anderson et Steven O'Malley, les deux compères de Sunn O))). Greg Anderson vient d'ailleurs y poser quelques lignes de guitare (de façon palpable sur l'introduction de "The Creeper"), tout comme le fait Aaron Turner d'Isis (autre formation metal parfaitement recommandable). On y retrouve notamment le morceau "Ephemeral", déjà présent sur l'EP du même nom, paru en juin 2009 (chez Southern Lord, déjà). On y a, surtout, la surprise d'entendre quelques minutes de chant sur "Final Breathe", la conclusion de l'album. Un chant traînant, hanté, loin, encore, des clichés du genre (mais pas si loin dans un sens du Black Hole Sun de Soundgarden).
Ceci mis à part, l'amateur ne sera guère dépaysé et le néophyte pourra aborder avec sérénité ce nouveau continent : Pelican est toujours Pelican : post-metal tout en force, gavé de stoner rock, sorti du roc à la dynamite, comme on dégagerait une statue gigantesque d'une montagne. Monolithique et pourtant riche, d'une délicatesse paradoxale. Le feu aux poudres. Tout un monde en fusion. Minéral, profond, superbe, incandescent. |