Futurs lecteurs, attention aux rapprochements hâtifs. Ne vous attendez pas à trouver dans ce roman les aventures réévaluées du cyborg de la série télévisée américaine de science-fiction des années 70.
Plus prosaïquement, si on peut dire, "L'homme qui valait 35 milliards" c'est tout simplement Lakshmi Mittal, l'homme d'affaires indien, président d'ArcelorMittal, la plus grosse fortune du Royaume-Uni, le capitaine d'industrie qui est au secteur sidérurgique ce que le pompier pyromane est à la pinède.
Le romancier Nicolas Ancion, né dans le bassin sidérurgique liégeois, diplômé de philologie, critique de bandes dessinées et auteur de littérature jeunesse - et ceci n'est pas neutre - en a fait le héros malgré lui, ou plutôt le prétexte, de son dernier roman en date qui ressortit à la fois du polar burlesque à la Donald Westlake, de la fiction de ré-création à la mode du réalisme social des frères Dardenne, belges également, de la fiction "ré-création" à la mode du magazine, belge lui aussi, qui vous déshabille, Strip Tease, et d'un comic de pieds nickelés contemporains.
Obsédé par les ready-made de Duchamp, Richard Moors, qui se veut artiste conceptuel, mais qui n'a ni une once de créativité ni le sens du merchandising propre aux plasticiens chouchous des milliardaires nouveau-riches qui pourraient l'amener à voir une de ses œuvres exposées à la Punta della Dogana, et, en revanche, se complait dans une mollesse apathique, a soudain une idée qui lui semble de génie : réaliser une performance artistique qui fera date dans l'histoire de l'art, pas moins car de toute façon quand on est au niveau zéro rien ne vous empêche de viser au plus haut.
Ladite performance, qui, en outre, devrait réconcilier les aspirations des gens de la rue avec l'art contemporain, consiste, en mélangeant le politique et l'artistique, à enlever Lakshmi Mittal, le seul homme capable de transformer l'acier en argent, pour en faire le Picasso du 21ème siècle afin "qu'il soit à l'art contemporain ce que les plats préparés pour micro-ondes sont à la gastronomie : une révolution de merde".
Aux côtés de l'artiste ou autour de lui, des desesperados, des paumés, des pathétiques, des véreux, des anonymes, des exclus, tout une galerie de portraits saisis sur le vif, des tranches de vie avec des tronches pas possibles. De coups de gueule sur les plaies sociétales de son époque en cris d'amour pour sa région et pour les obscurs qui n'ont pas voie au chapitre, Nicolas Ancion, qui a le sens de la formule sans appel et des dialogues à la Audiard, brosse ce récit picaresque d'une plume ironique et caustique sait aussi se faire tendre et poétique.
C'est drôle, jubilatoire et iconoclaste et roboratif. Et comme l'indique l'auteur avant l'avertissement d'usage sur la réalité et la fiction : "Parfois, on aimerait que les histoires qu'on invente ne soient pas de pures fictions".