Troisième
édition de Monumenta, manifestation née en 2004
sous l’impulsion de Olivier Kaeppelin, son concepteur,
alors directeur de la Délégation des arts plastiques
du Ministère de la Culture qui préside désormais
aux destinées du Palais de Tokyo, pour repositionner
Paris sur la scène artistique internationale et amener
le grand public à s'initier et s'intéresser à
l'art contemporain à partir d'une œuvre d'un artiste.
Pour 2010, le choix, pour cette exposition coproduite par le
Centre national des arts plastiques,
le Grand Palais et la Réunion
des Musées Nationaux, s'est porté sur Christian
Boltanski qui y présente une installation intitulée
"Personnes".
Photographe, sculpteur, peintre, cinéaste et plasticien,
professeur à l'Ecole nationale supérieure des
Beaux Arts de Paris, figure de l'art narratif, Christian Boltanski,
reconnu comme l'un des principaux artistes contemporains français
affilié au Narrative art, se définit comme un
artiste minimaliste expressionniste.
Christian Boltanski, homme des fantômes et des paradoxes
"Personnes" constitue selon son auteur une installation
"conçue pour produire un puissant sentiment d’oppression.
Il s’agit d’une expérience dure et je suis
convaincu que les gens éprouveront un sentiment de soulagement
en sortant".
Pour que les visiteurs ne passent pas à côté
du sens de cette œuvre qui, comme l'indique la commissaire
de l'exposition, Catherine Grenier, historienne d’art
et conservatrice de musée, même si la référence
à l'Holocauste est toujours présente, peut s'appliquer
à n'importe quel génocide et s’inscrit dans
le questionnement la nature et le sens de l'humanité,
des médiateurs sont à leur disposition pour les
accompagner dans ce qui se veut un immersion sensorielle et
mémorielle.
Les 13 500 m² de la Nef du Grand Palais, qui avait servi
de garage à camions allemands pendant la Seconde guerre
mondiale, accueillent pour un mois une sorte de mausolée
de la Shoah : sans chauffage (pour rappeler les baraques des
camps) des urnes funéraires numérotées
(les détenus numérotés des camps de concentration),
des carrés de cimetière sur lesquels sont étalés
des manteaux ("des corps en attente de la mise à
mort"), une pyramide de vêtements usagés ("la
mise à mort de masse") qui seront ensuite recyclés
pour fabriquer du feutre métaphore avec les cheveux des
prisonniers (à la Biennale de Venise 2009 Zoran Todorovic
avait fait encore plus réaliste et plus explicite en
proposant des oeuvres d'art à la vente consistant en
des tapis réalisés à partir de cheveux
humains), une grue géante qui en extirpe quelques monceaux
("le doigt de Dieu qui prend la vie, qui tape au hasard")
et en bruit de fond des battements de cœurs enregistrés
(l'unisson mnésique).
L'œuvre, qui s'inscrit totalement dans le registre habituel
de Boltanski, n'est pas totalement inédite puisque son
concept a déjà été utilisé
pour des installations similaires au Japon et en Suisse, et
sera repris dans quelques mois à New York, et ses éléments
composites sont également récurrents chez Christian
Boltanski à l'instar des boites à biscuits déjà
vues dans "Monument Odessa" datant 1989 qui sont ici
moins des boîtes à lettres illustrées que
des boîtes funéraires uniquement identifiées
par un numéro et des fripes ("Réserve Canada"
1988).
Et pourtant l'artiste qui décline inlassablement une
oeuvre mémorielle autour du thème de la mort et
notamment en référence constante avec la Shoah
dont il dit ne s'être jamais remis, est un homme qui dit
aimer la vie et être joyeux.
Joyeux mais soucieux de sa mort et auparavant de sa quiétude
financière terrestre puisqu'il a contracté une
assurance-retraite singulière en vendant sa vie à
un milliardaire de Tasmanie, ou plus exactement son droit à
l'image dans le cadre d'une sorte de art story. Des caméras
filmeront en permanence son atelier et s'il meurt avant huit
ans, ce thésaurus appartient au débit-rentier
qui pourra l'exploiter en tant qu'œuvre unique.
Christian Boltanski n'a pas donc pas peur des paradoxes. Ainsi
dit-il que "Les vrais grands artistes ne sont pas à
la Biennale de Venise" et qu'il y a "un décalage
total entre Venise et la réalité du monde"
et accepte cependant de représenter la France à
la Biennale de 2011 tout en affirmant qu'il ne se sent pas comme
"le porte-drapeau d’un pays, fût-il le mien".
A la 54ème Biennale Internationale d'Art Contemporain
de Venise, à Claude Levêque et son art carcéral,
succèdera donc un autre chauve rondouillard qui ne fait
pas dans le ludique. Que déposera-t-il dans le pavillon
français ? Les paris sont ouverts.
Pour revenir à Monumenta 2010, le visiteur pourra participer
à une future œuvre d'art en faisant enregistrer
les battements de son cœur et même repartir avec
lesdits battements enregistrés sur CD moyennant 5 €.
En effet, Christian Bolstanski, qui collectionne les battements
de cœur depuis 2005, en fera une œuvre mémorielle
présentée en juillet 2010 sur l’île
de Teshima au Japon.
A noter que cette manifestation est considérée
au plan financier comme ayant nécessité un budget
raisonnable - le financement de la manifestation se partage
entre fonds publics et fonds privés et cette année
il en coûtera 1,8 million d'euros à l'Etat - et
que le tarif d'entrée, inchangé depuis la première
édition, a été modestement fixé
à 4 euros l'entrée (2 euros pour le tarif réduit). |