"La Vie Cajun" trotte encore dans ma tête, comme Féloche me l’avait prédit hier soir à La Boule Noire.
La soirée avait pourtant mal commencé, par une première partie placée elle aussi sous le drapeau de la Louisiane. Une accorte chanteuse à l’accent cadien égraine quelques chansons, accompagnée par trois cowboys usés, un violoniste, un bandoléoniste et un contrebassiste aux allures de Jolly Jumper.
Faute de bayou, c’est à la MJC de la Nouvelle Orléans, me souffle ma voisine, que nous avons l’impression de trainer nos santiags. Comme la belle à la stricte frange country n’a pas dit son nom, nous ne chercherons pas à la retenir, elle a raison après tout, c’est pas ton business, plutôt cheap le business…
Mais le brouillard s’étend vite sur le marécage et efface les derniers échos de cette musique lointaine. Soudain, la belle gueule de Féloche surgit. Avec son sourire et son regard mutins, ses boucles rebelles et sa mandoline électrique, il conquiert vite son public, nous.
Très vite rejoint par Christophe Malherbe, le contrebassiste à tête de tortue et Léa Bulle, la femme orchestre, il nous entraîne dans son univers décalé.
Sur sa mule bringuebalante, nous arpentons un chemin sinuant entre un folk qui sort de la vieille cabane là-bas, et le rock steady d’un vapeur qui tourne ses roues à aubes à plein tube.
Souvent, on devine des bulles d’électro qui remontent du font du marais. You want to dance ? Reste avec moi…
À chaque morceau, je me demande de quel instrument va se saisir la petite Léa, harmonica, trompette, accordéon, synthé, cornet, tambourin bricolé, boîte à sons, samples, grosse caisse, castagnettes… Elle n’arrête pas, et quand elle chante, nous adorons sa voix.
Quant à Christophe le géant, il donne le rythme endiablé, se saisissant parfois d’un archet pour faire ronfler sa contrebasse, électrique.
Le trio est bien rodé, synchro, ils rigolent, font les clowns juste ce qu’il faut, cabotinent.
Les engrenages tournent déjà bien, huilés pendant cinq ou six morceaux, quand surgissent sur la scène deux nouveaux : un violoniste et bandonéoniste qui sait aussi jouer de la râpe à fromage. Ils encadrent Féloche, et les espèces d’arbres qui trônent au fond de la scène leur donnent des ailes d’ange.
Depuis "Bon appétit shaman !" nous plongeons toujours plus loin dans leur délire fantasmagorique, jusqu’à l’incantation finale, à la gloire de "Dr. John, gris gris, John".
Sortent alors des vapeurs du bayou urbain, à n’en pas douter hallucinogènes, cinq créatures, corps d’homme aux mains musicales et aux têtes animales… Ça bouge dans la fosse en transe, qui suivrait bien ce chien fou jusqu’au bout de la nuit vaudou.
On se calme, le premier album est sorti hier et il parait que nous sommes les heureux témoins du premier concert parisien (d’accord, si on oublie quelques scènes petites ou partagées). Le répertoire, certes impeccable, varié et festif, a forcément ses limites.
Pour terminer, les excités du marécage nous interpellent sur le morceau qui bouge surement le plus, "Eh toi ?" avec sa ligne de violon ensorcelé qui nous vient de l’est, comme Féloche, ex-guitariste d’un groupe de punk ukrainien, oui da !
Ici, aucun doute n’est permis, le public le rappelle chaleureusement, et le baladin nous offre sa reprise de "Singing in the rain", à la légèreté absolue, suivie d’un retour à "La Vie Cajun", parce qu’il veut qu’on la fredonne le lendemain. Bien joué, elle ne me quitte pas depuis !
Mais en la chantonnant sur le chemin de la maison, je réalise que le tube n’a finalement qu’une phrase… La vie me joue des tours, essaie de faire la peau à mon rêve éveillé qui rit sous mon chapeau.
S’il est capable de ce tour de force, Féloche peut aussi pondre des textes profonds et poétiques, comme "Darwin avait raison". Souhaitons-lui donc une bonne évolution ! À suivre absolument, par exemple le 24 mars à la Maroquinerie. |