Etrange formation que celle des Local Natives, dont le premier album, Gorilla Manor, sorti il y a quelques mois, a retenu l’attention d’une bonne partie de la presse musicale. Première constatation sur scène : ce quintette n’a pas de leader. Chacun des musiciens, hormis le batteur, tient au sein du groupe une place équivalente aux autres : les instruments sont interchangeables – chant, guitare, basse, clavier, percussions – à tel point qu’aucun des musiciens ne semble se détacher du groupe. Cet équilibre est troublant parce qu’il implique, d’une manière assez évidente, l’absence de personnalité, et l’effacement des singularités. Mais cette particularité ne modifie pas la maîtrise des instruments, et la rigueur avec laquelle les changements se font. L’enchaînement des morceaux a lieu sans décrochage. Un système de roulement est ainsi mis en place, sans que la structure des chansons ne se modifie véritablement.
Ce phénomène viendrait de l’expérience en communauté qu’a vécue le groupe l’année dernière, ayant loué une maison à Los Angeles, afin de donner forme à leur album. Leur règle fut que chaque musicien se devait de jouer d’au moins deux instruments. Et chaque décision était votée, démocratiquement, afin que chacun participe équitablement à l'écriture des morceaux. Le résultat correspond à un patchwork musical, où divers styles de musiques ont été digérés, assimilés, pour aboutir à une certaine richesse, souvent difficile à recevoir.
Si les rythmiques tiennent de l’afro-beat, les harmonies vocales rappellent le groupe Fleet Foxes : mêmes envolées mélodiques, même climat pseudo-pastoral, voire épique, même sensation de sortie au grand air ; le tout surligné par des guitares rock, des boucles de clavier assez pop. On parvient en réalité difficilement à avoir prise sur ces chansons : elles nous échappent parce qu’elles n’ont pas de centre ; elles ressemblent à une masse informe qui évolue sans logique sur un plan ; un objet qui se nourrit de multiples influences pour les restituer de manière désordonnée.
Pourtant – et c’est en cela que j’ai parlé du caractère étrange du groupe – ce désordre, extérieurement manifesté par une attitude décontractée, semble masqué en surface par une volonté de précision, un pointillisme qui fait facilement illusion auprès du public. D’où le caractère sophistiqué d’une formation, qui révèle la dimension pop de notre temps. On peut parier que cette recette fonctionnera bien, comme elle a fonctionné pour les Fleet Foxes.
Le groupe canadien Clues a joué en première partie de cette soirée. Son origine est généralement connue du public : un ancien batteur d’Arcade Fire (Brendan Reed), un musicien des Unicorns (Alden Penner), une signature sur l’important label Constellation, voilà de quoi intriguer.
Comme je n’ai toujours pas compris ce qui s’est construit autour d’Arcade Fire – ce grand hold-up musical des dix dernières années – la présence d’un énième groupe s’inscrivant dans cette lignée me laisse perplexe.
Mais au contraire des Local Natives, on perçoit chez Clues un équilibre salutaire : la structure des chansons est faite de retenue.
Une immédiateté s’impose comme le style à part entière du groupe. Pas de surajout ici mais plutôt un dépouillement qui donne à cette musique un caractère nerveux.
La grandiloquence et la simplicité systématique d’Arcade Fire ne sont heureusement pas reproduites sur scène ; au contraire on perçoit plutôt une complexité qui n’est ni forcée ni recherchée.
Une complexité en fait qui semble s’imposer d’elle-même. Il faudra vérifier sur d’autres albums si le talent de Clues se confirme, et si les compositions continuent d’évoluer selon la même direction : celle de la rigueur et de la clarté. |