Il est loin le temps où Jared Leto recevait une bonne dérouillée par un Edward Norton schizophrène dans Fight Club, ou incarnait la descente aux Enfers causée par la drogue dans une vision psychédélique d'Aronofsky. Il faut savoir qu'en parallèle des films, l'acteur a monté un groupe de post-rock alternatif au nom pour le moins mystérieux de 30 Seconds To Mars. Groupe qui a fait honneur à l'Aéronef de Lille en y plaçant jeudi soir une des deux uniques dates en France de sa tournée actuelle.
À voir le nombre de couvertures de survie et sacs de couchages devant la salle, pour sûr cet événement était attendu. Quelques personnes mieux renseignées ont trouvé le bon plan d'assister à la dédicace du groupe au Furet du Nord dans l'après-midi, se voyant remettre un bracelet pour pouvoir entrer les premières dans la salle. Les autres se contenteront de s'amasser devant les grilles de l'Aéronef, où bon nombre de personnes recherchaient vainement des billets à vendre. Pas de doute, 30 Seconds To Mars attire les foules, ce concert étant espéré depuis des années par les fans français.
À 19h, l'ouverture des portes s'apparente à une ruée vers l'or, et la grande salle se remplit à vue d'œil, balcons y compris. À peine le temps de faire entrer tout le monde que déjà, la première partie arrive sur scène.
Le ton est très vite donné avec Street Drum Corps dont l'introduction semble droit sortie du film Dark city : chapeaux, foulards et vestes noires, silhouettes inquiétantes en contre-jour. Des percussions sur bidons version Tambours du Bronx, deux guitares, quelques pointes de xylophones et d'électro : Street Drum Corps monte le volume à plein régime par son punk expérimental.
Le chanteur Bobby Alt fanfaronne sur scène, silhouette osseuse remontant ses bretelles dont la voix peine à s'extirper du bruit des musiciens. En effet, les bidons se font éclater à coups de batte de base ball, tandis que les guitaristes portant un casque de soldat américain se lancent dans des duels effrénés : peu de place reste au chant sans corps de Bobby, qui ferait mieux de retourner à ses baguettes de batterie avec lesquelles il est bien plus brillant. Quoiqu'il en soit, le public semble apprécier ce mélange des genres et le jeu scénique du groupe : un dernier au-revoir que le voilà déjà parti, sans toutefois avoir dit son dernier mot...
Durant le changement de scène, le fan-club de 30 Seconds To Mars se fait sympathiquement remarquer en lançant au public du haut des balcons des centaines de bracelets phosphorescents à l'effigie de la soirée, tout en dévoilant banderoles et draps en support au groupe.
Des acclamations accueillent l'entrée sur scène des musiciens, accompagnés des membres de Street Drum Corps agitant de grands drapeaux blancs en signe de paix. Jared Leto s'avance vers le micro, veste officier et coupe à l'iroquoise, prêt à partir en guerre : une introduction graphique réussie à l'image de leur dernier album, This is War. Le groupe s'engage illico dans le morceau "Night of the hunter" ; on découvre alors qu'en plus d'avoir des yeux à faire tomber toutes les filles, Jared a également une voix puissante et maîtrisée, capable de focaliser dans ses cris toute l'émotion des paroles de ses morceaux. Musicalement, c'est une très bonne surprise pour ceux qui ne connaissaient pas encore le groupe.
Jared est suivi d'une seule voix par le public, connaissant chaque parole sur le bout des doigts : on a l'impression d'entrer dans l'album, dont l'enregistrement studio mixait déjà les chœurs de la foule dans ses morceaux. Le chanteur joue énormément avec l'auditoire, le laissant parfois chanter seul, l'encourageant à s'exprimer : "Let me see you go crazy tonight !", ce que les spectateurs prendront volontiers au mot.
Les percussionnistes de Street Drums Corps reviennent régulièrement sur scène, que ce soit pour accompagner les morceaux aux tambours ou motiver le public à suivre le rythme si caractéristique de "Vox populi" : pieds et mains battent la mesure à l'unisson de ce morceau dont se dégage une forte émotion tant la fusion entre le groupe et son public est palpable.
Un des aspects intéressant du concert est sans aucun doute son incroyable jeu de lumières, passant de tons rouges stroboscopiques et cauchemardesques pour les morceaux les plus sombres à des spots plus tamisés pour les moments de dialogues avec le public. Durant tout le spectacle, les musiciens se découpent à peine de la fumée sur scène, dont Jared Leto tient les devants.
Son jeu d'acteur a pour sûr une grande place dans le show : des déclarations d'amour dans un français malhabile rendent les demoiselles de la salle hystériques, et il ne se prive pas d'échauffer la gente féminine. Le classique "Voulez-vous coucher avec moi" déchaîne bien évidemment des cris stridents, et il en rajoute une couche en mentionnant "Someone told me this was meaning good evening in France !" . Nul doute, le chanteur est charmeur, et il en joue amplement.
La performance des musiciens, certes quelques peu étouffée par l'omniprésence du maître de jeu, n'en est pas moins à négliger : le bassiste Tim Kelleher et le guitariste Tomo Miličević ne sont pas un seul moment immobiles, traversant de long en large la scène avec leurs guitares. Quant au frère de Jared, Shannon Leto, il soutient et entraîne tout au long du concert ses partenaires d'un rythme explosif à la batterie.
Invitant les hommes à porter les jeunes filles sur ses épaules, Jared entame "This is War" , durant lequel la fosse s'emplit de bras levés et poings tendus. Les influences de U2, Pink Floyd ou encore Nine Inch Nails se font fortement sentir, parfois au point de frôler l'imitation. On préfère retrouver une certaine originalité dans de petites touches expérimentales et électroniques, encore trop peu présentes, mais qu'on espère voir se développer afin que le groupe marque sa singularité : le potentiel est déjà là, "L490" en étant la preuve. Morceau propre à Shannon, il y fait résonner un bol tibétain immense au milieu de la scène, tandis que des chants grégoriens angoissants se propagent dans une lumière rouge.
Jared se livre ensuite à un moment solo en guitare acoustique soi-disant improvisé, dont le programme est quasiment identique de concert en concert : Un petit coup de Police avec un couplet de "Message in a bottle" , quelques extraits de morceaux en acoustique tel que "Hurricane". Jared s'envole ensuite en monologues franco-anglais brisant hélas le rythme par le plaisir de s'entendre parler, avant de déclarer au soulagement de tous "That's enough for my comedy routine !" .
Armé d'une guitare électrique, il fait alors plaisir aux plus anciens fans en reprenant des morceaux des albums précédents tels que "Capricorn", "The Kill" ou encore "Buddha for Mary". Un petit rappel dans le noir de quelques minutes, et le groupe achève déjà son show, finissant sur "Kings and queens" : là encore, il montre sa proximité au public en faisant monter quelques personnes sur scène, et Jared continue à faire son zouave, s'enveloppant d'un drapeau français ou encore enfilant le soutien-gorge lancé par une fan hystérique.
Au bout du compte, 30 Seconds To Mars ne s'est pas contenté de faire un concert pour présenter ses morceaux, mais surtout pour se rapprocher de son public et de ses fans, qu'ils disent considérer comme de la famille à part entière. La diva Jared Leto a réussi à faire grandir son culte et la reconnaissance de son public par un concert grandiose malgré la petitesse de l'Aéronef. Espérons que cette proximité aura aussi pu se ressentir dans le spectacle du lendemain à Bercy, qui semble avoir eu bien plus du mal à faire salle comble. |