Texte écrit, mis en scène et interprété par Dieudonné Niangouna accompagné par Pascal Contet à l'accordéon.
1993, République du Congo ou Congo-Brazzaville, début de la première guerre civile. Sur l'autre rive du fleuve Congo, le territoire qui deviendra la République Démocratique du Congo, s'appelle encore Zaïre, il est dirigé par Mobutu.
Au Congo, les fonctionnaires ne sont plus payés depuis plusieurs mois. Il n'y a pas de route goudronnée entre Brazzaville, la capitale politique du pays, et Pointe-Noire, sa capitale économique. Entre les deux villes, les voitures sur la piste de terre et les trains sont régulièrement attaqués par des bandits de grand-chemin. Une des principales banque du pays a fait faillite l'année précédente, des milliers de familles ont perdu leurs économies. Le franc CFA est en passe d'être dévalué. Le pays est ravagé par le sida, gangréné par la corruption et une grande partie de la population est au chômage.
Pascal Lissouba, dit le Professeur, est le président démocratiquement élu du pays. Il est soutenu par la milice des "Zoulous", qui s'oppose à une autre milice, les "Ninjas" de Bernard Kolélas, alors maire de Brazzaville. Denis Sassou-Nguesso, ancien président et opposant à Lissouba et à Kolélas, vit alors à Pointe-Noire, protégé par ses "Cobras". La flotte française croise au large des côtes de Pointe-Noire, prête à évacuer les ressortissants français qui travaillent principalement pour Elf et ses sous-traitants. Trois guerres civiles secoueront ce pays pendant dix longues années.
Le spectateur se sentira moins perdu à l'écoute du texte de Dieudonné Niangouna en sachant cela, pourtant lui n'a que faire de ces précisions. Il raconte non pas un contexte ou l'histoire de la guerre, mais le quotidien à hauteur d'homme, l'horreur qu'il rencontre en tant qu'individu jeté dans la tourmente. Il se rappelle le premier barrage à Brazzaville devant lequel il est mis en joue par un milicien, la traversée du Mayombe vers Pointe-Noire, les corps sur la route, le poste de police face à la gare où il se fera molester à coups de crosse. Puis encore les cadavres. Les enfants soldats. La faim. La maladie. Le froid. La chaleur. La survie sans savoir pourquoi.
Les mots de Dieudonné Niangouna se bousculent de plus en plus vite dans sa bouche. Ils perdent leur sens devant l'indicible de la guerre. Ils se transforment en un horrifique poème désespéré.
La force de ce texte vient de l'absence d'apitoiement, et de la distanciation par rapport aux évènements. Le rythme des mots, comme un délire de plus en plus décousu en raison de l'horreur, la faim et la maladie, devient transe. Une transe portée par les improvisations sonores de Pascal Contet et les lumières au néon de Xavier Lazarinei et Brunel Makoumbou qui rappellent l'éclairage des terrasses des restaurants de rue dans ces villes du Congo. Dieudonné Niangouna vit physiquement son texte, le récite en se jetant à terre ou sur les murs. Le corps parle lorsque les mots ne suffisent plus à s'exprimer. L'indicible de la guerre qui s'immisce jusque dans les chairs.
Le récit de ce long poème, exercice de reconstruction d'un homme après une tragédie, est une expérience aussi bouleversante que dérangeante.