Au début des années 80, Cherry Red Records était un label qui hébergeait en son sein quelques vieux punks comme The Exploited, mais c'était aussi l'écurie de toute une bande de joyeux jeunes gens romantiques et pop, qui préféraient souvent la guitare acoustique à l'électrique, Felt, Jane, Joe Crow, Eyless in Gaza ou encore Monochrome Set. Pas mieux pour passer une soirée à refaire le monde en se regardant le nombril et se disant que la vie est vraiment trop injuste. C'est sur ce label que sont sortis les premiers efforts discographiques d'un côté de Tracey Thorn, en solo ou avec les Marine Girls, et de l'autre côté de Ben Watt, c'est-à-dire de ceux qui allaient bientôt devenir un couple à la scène comme à la ville sous le nom d'Everything but The Girl.
Après des années de pop adulte, élevée au jazz et à Elvis Costello, ce n'est qu'avec le carton mondial du remix de Missing par Todd Terry en 1995 que le son du duo s'orientera vers la pop electro qu'on lui connaît. Tracey Thorn deviendra vite une égérie trip-hop suite à ses collaborations avec Massive Attack.
Sur ce disque, enregistré entre Londres et Berlin, Tracey Thorn s'entoure de la fine fleur de la nouvelle génération pop électro, le producteur des Delphic, Ewan Pearson, Al Doyle des Hot Chips à la basse et à la guitare, ou encore Jono le guitariste des Los Valentinos. Et pourtant, point d'électro dans ce disque, retour au bois, à l'acoustique.
Les thèmes abordés y sont l'engagement, les amours déçues, la séparation. Elle y reprend "Come on home to me" de Lee Hazlewood, après avoir ouvert avec la ballade triste "Oh, the divorces" et avoir continué en évoquant les fantômes du passé dans "Kentish Town" et la solitude dans "Single bar". Ce disque donne l'impression de croiser quelqu'un en pleine middle-life crisis. La voix de Tracey Thorn est toujours aussi somptueuse, magnifique pour véhiculer la mélancolie, mais le disque ne décolle jamais vraiment, et s'enlise dans des ambiances où pointent les regrets plus que les remords.
Si dans son ensemble, l'album ne convainc pas du début à la fin, il recèle cependant quelques petits trésors. Il y a d'abord le single et morceau d'ouverture, "Oh, the divorces" dont la mélodie reste en tête, élégante superposition de cordes frappées, pincées puis frottées. Il y a ensuite "Kentish Town", sur lequel la voix de Tracey Thorn a rarement été aussi poignante, soutenue par une seconde voix féminine plus haute. "You are a lover", plus léger, ouvrant sur quelques notes de guitare électro-acoustique est totalement intemporelle. Enfin le lumineux "Swimming", avec sa rythmique électro minimale qui s'enrichit de claviers, percussions, batterie et violons referme cet album sur une touche plus optimiste.
On craint que ce disque, qui sort quand les beaux jours reviennent, malgré les mélodies agréables et la voix toujours magnifique, ne trouve refuge que dans la discothèque de quelques personnes, rendues récemment célibataires et inconsolables le temps d'un été. |