A la mi-mai, depuis quelques années déjà, Saint-Brieuc, un gros bourg de 50.000 habitants sort de sa léthargie légendaire et de son immobilisme culturel pour le festival Art Rock qui se déroule sur quatre jours.
Plus qu'un simple festival de musique, Art Rock se veut pluridisciplinaire et s'ouvre aux arts numériques, à la peinture, aux performances d'artistes, à des conférences autour de la littérature (l'excellente table ronde sur écrire le rock avec entre autres Michka Assayas) ou encore aux passionnantes conférences de Christophe Braud.
Après avoir récupéré le pass dans une chapelle transformée en espace presse la journée et... bar VIP le soir, slalomé parmi les locaux peuplant les terrasses des troquets (le Breton se déshydrate facilement...), direction place Poulain Corbion, le site principal du festival.
Le collectif congolais Konono n°1 inaugure la soirée avec un mélange de tradition (la transe mazombo, le likembé, un instrument composé de lamelles métalliques que l'on joue avec le pouce)
et de modernité (l'amplification de l'ensemble donne un côté très rock à leur musique).
On comprend mieux pourquoi ce collectif fait l'unanimité au-delà du cercle des initiés de la World Music, en mettant tout le monde d'accord, des pointillistes Pitchfork, en passant par Beck ou Animal Collective. On passe rapidement sur la pop honnête des Revolver et sur la prestation de l'ex-star-académicienne Olivia Ruiz, qui a depuis réussi à trouver le juste milieu entre crédibilité indé (la filiation avec Dionysos, des collaborations avec The Noisettes, Buck 65) et succès grand public.
Par contre, on attend la prestation des Ghinzu avec une certaine impatience. Le combo belge a déçu il y a un mois et demi avec une prestation en demi-teinte au festival Panoramas à Morlaix. Ce soir, les Belges sont en grande forme (on peut même oser dire qu'ils ont la frite : Ils alignent les classiques ("Cold Love", "Do You Read me") et clôturent par un "Dragster Wave" épique à souhait. Une prestation aussi impeccable que leurs costards noirs cintrés.
Du coup derrière, on s'ennuie ferme sur Vitalic. L'homme au crâne lisse, planqué derrière ses machines et baignant dans un éclairage criard, donne surtout l'impression de sonoriser la Foire du Trône ou encore un rassemblement tuning dans le Nord Pas de Calais. Des beats assommants (au propre comme au figuré), des vrombissements dignes des accélérations de Sébastien Loeb à Monte-Carlo. En fait, il ne manquait plus que les auto-tampons.
C'est ainsi que s'achève la deuxième journée du festival art rock. Un peu déçu d'avoir raté Band Of Skulls à la Passerelle. Ce sont les aléas des programmations sur plusieurs sites...
On fera encore les frais de ce chevauchement de programmation le samedi. Bien dommage, en effet, de faire jouer sur le même créneau horaire Rachid Taha, accompagné de l'ex-Clash Mick Jones et Dean & Britta...
Même pas le temps d'écouter un morceau en entier du rocker algérien qu'il est temps de filer vers le théâtre de la Passerelle pour la projection des screen tests de Warhol mis en musique par Dean & Britta. C'est surtout l'occasion de voir les anciens Luna et pour les plus nostalgiques, Dean Warham, éminence grise des hautement influents et séminaux Galaxie 500, groupe mythique que tous les fans hypeux de Beach House feraient bien d'écouter. On peut contester l'oeuvre de Warhol, se demander l'intérêt de filmer en plan fixe une personne pendant de si longues minutes, mais l'habillage musical effectué par Dean & Britta (accompagnés d'un groupe) est une vraie réussite : les fans du Velvet y trouvent largement leur compte. On pense aussi aux excellents Yo La Tengo que l'on sait influencés par l'ex gang de Lou Reed que l'on retrouvera à l'écran sur l'un des treize screen tests choisis ce soir par le duo. On aura même le droit à une flamboyante reprise de "Bonnie & Clyde" de Gainsbourg, en français dans le texte.
Un fan du groupe demande ensuite un morceau de Galaxie 500. Dean Warham et son groupe s'exécuteront en ayant la délicatesse de demander au fan le morceau de son choix. La grande classe...
Pas trop de regrets pour Coeur de Pirate... Le temps de récupérer le DVD hautement recommandable sorti pour l'occasion et on est reparti pour Poulain Corbion... Viendra, viendra pas ? Mais qui donc? Pete Doherty bien sûr... Allait-il nous faire "une Amy Winehouse ?" Une "Oasis" tristement rendue célèbre pendant un festival parisien... Et bien non... Pete est bien là... Et tous les collégiens et lycéens du coin sont de sortie et squattent les dix premiers rangs pour voir leur idole décadente.
Au bout de la première chanson, on a la triste impression que ça sent l'arnaque. Pete tout seul avec sa gratte et une bouteille de Bordeaux pour lui tenir compagnie. Allez, on lui laisse le temps de se mettre en place, on ne va pas faire les rabat-joies. Malheureusement ça ne décolle pas. Il a beau faire venir deux danseuses pour tromper l'ennemi, rien n'y fera. Je suis sûr qu'on remplace Pete par Jean Pierre Ranu de la MJC de Moncontour, avec les mêmes compos et tout le monde fini au bar. Les ados des premiers rangs s'en cognent. Quoique fasse Pete, ils kiffent grave. Beaucoup de bruit pour pas grand chose...
Pas le temps de s'attarder sur les délires festifs de Caravan Palace. Le spectacle est de qualité mais on préfère filer au forum de la Passerelle. Après avoir entendu parler en bien, voire très très bien de White Rabbits, on est pressé de juger sur pièces le talent de ce combo américain. Et il n'y a pas à dire, on n'est pas déçu. White Rabbits livrent un set brut et intense. Une des vraies bonnes surprise du festival. Ca fait du bien...
Rien à redire sur l'affiche d'Art Rock, mais jusque ici, dans les coulisses du festival (le bar VIP en gros), on se plaint que ça manque de prise de risque, de frissons. Les Frenchies de Skip The Use vont largement remédier à cette léthargie ambiante avec un concert brut et intense. On pense à du Bloc Party sous amphètes qui s'encanaillerait avec Gossip. Mais on entend aussi du ska. Le plus important, c'est l'attitude punk que dégage ce groupe qui fait une grosse impression. Le chanteur est une vraie pile qui sait se mettre la foule dans la poche de son slim. A Saint-Brieuc, repère de punks par excellence, on aime bien ça... Skip the Use s'en est vite rendu compte et donne au public briochin ce qu'il est venu chercher : de l'intense, du pogo a gogo et de la sueur... J'ai même surpris ma belle-soeur en plein pogo ! Trois heures passées, il est temps d'aller dormir, enfin officiellement car les soirées briochines...
Pour le dernier jour, Art Rock a frappé un grand coup en invitant Jacques Dutronc. Avant la prestation de l'homme aux lunettes noires constamment vissées sur le nez, on écoute la gentille belge Selah Sue. On peut parier sur son beau potentiel grand public : voix soul chaude servie sur du reggae acoustique ou encore raggamuffin. Moi je fais une allergie persistante à ce genre de musique. Mais la jeune belge est talentueuse et devrait sûrement faire parler d'elle très bientôt.
On compte beaucoup sur The Go Team pour chauffer le public de Dutronc. La gentille troupe allumée de Brighton se démènera comme de beaux diables et diablesses en piochant dans ses deux premiers excellents albums et en offrant la primeur de titres de leur album à venir, "qui n'ont pas encore de titre" dixit la chanteuse Ninja (c'est son prénom). Imaginez la pop soul sucrée des Jackson 5 croisée avec les morceaux les plus pop de Sonic Youth ou Free Kitten et vous obtenez The Go Team. Les quadras et quinquas qui s'impatientent de voir Dutronc restent perplexe face aux efforts déployés par The Go Team pour faire bouger le public.
Lorsque Dutronc s'apprête à débarquer sur scène, la moyenne d'âge a pris un sacré coup (de vieux)... Nombreux sont les nostalgiques venus écouter l'idole de leur jeunesse. Dutronc assure un show efficace, un joli best-of qui comble le public briochin venu en masse. Le bonhomme semble heureux d'être là et ponctue ses chansons d'anecdotes et de boutades mémorables (Gainsbourg et moi, on en a fait des tournées. Pas celles que vous croyez... Au bon accueil, Au bon temps...) et déroule un répertoire plein de classiques à craquer (les "Cactus", "Le Playboy", "L'opportuniste"...).
Voilà, on est dimanche soir, Art Rock se termine. Saint-Brieuc peut reprendre son rythme de gros bourg provincial... jusqu'à l'année prochaine. |