La prestation de Sophie Hunger à l’Aéronef fut remarquable, tant sur le plan humain que musical. Deux heures de concert pendant lesquelles la chanteuse a présenté son troisième album, 1983 – que j’avais jugé assez faible en regard de son chef-d’œuvre Monday’s Ghost. Je ne change pas d’avis à ce propos, mais les titres de ce dernier album ont été interprétés avec une certaine intensité, se mélangeant dignement avec les anciennes chansons.
Sophie Hunger est une personne captivante, incroyablement concentrée sur scène, dont on peut deviner la qualité d’inspiration par ses silences, qu’elle n’hésite pas parfois à prolonger sans que cela ne perturbe le public : dans ses silences on arrive à percevoir sa maîtrise d’un répertoire qui a autant avoir avec le jazz et le classique qu’avec le folk.
Seule au piano ou à la guitare, ou encore accompagnée par son groupe pour des moments plus électriques, elle s’implique entièrement, ne fût-ce que par de simples inflexions de voix. Autre point fort : sa capacité à modifier la structure initiale de ses chansons, par exemple en remplaçant la mélodie de l’introduction par un ton neutre mais tout autant chargé d’émotion : les chansons n’en restent pas moins reconnaissables. Certains enchainements semblent improvisés, mais un travail rigoureux les contient entièrement.
Sa voix au timbre si particulier est plus troublante lorsque les chansons sont en allemand : assise au piano, vêtue d’une robe rouge, nous tournant le dos, cette jeune femme au tempérament fort séduit sans le vouloir.
Il faut aussi noter sa lucidité à l’endroit de l’industrie musicale, consciente qu’elle participe elle-même, instrument de spectacle, à un "show-biz" nécessaire. Pouvoir s’en moquer, et dans un même mouvement se moquer d’elle-même − dans le titre "Invisible" − est ce qui fait sa force. A vingt-sept ans Sophie Hunger connaît parfaitement les rouages du système qui lui a permis de s’affirmer ; elle joue avec sans rien compromettre de sa droiture morale.
Vers la fin du concert, au milieu d’un morceau de piano, une reprise de "Con Toda Palabra" de Lhasa nous bouleverse plus que ce que nous ne saurions dire. Nous ne remercierons jamais assez Sophie Hunger d’avoir fait cet hommage à la grande chanteuse mexicaine, dont la disparition récente continue de nous perturber.
A la sortie du concert j’ai considéré autrement l’album 1983, comme si cette soirée permettait de compléter virtuellement ce qui manque à ce disque : un souffle qui est celui de la plus grande liberté. |