En arrivant sur place, au hasard des conversations, on apprenait qu'Arno qui avait découvert la salle le jour-même, se sentait bien entre les murs du Casino de Paris. La salle était pleine comme un œuf, au point qu'un second concert au même endroit est prévu en fin d'année.
Plusieurs fois, on a entendu Arno dire de lui-même qu'il était une "belle gonzesse" jadis. Lorsqu'on entendait les grognements mâles à la limite de l'hystérie qui accueillent son entrée, on veut bien croire que certains se souviennent de cette époque.
On a beau savoir qu'Arno est une bête de scène, il l'a encore prouvé ce soir-là. Le groupe commence par "Brussels", extrait du nouvel album. Lorsque le chanteur de charme entre sur scène, on le sent concentré comme un boxeur avant le combat. A peine a-t-il fait quelques pas que le public tape dans ses mains. L'attitude est toujours un mélange étonnant de concentration et de décontraction. Habillé de noir, les cheveux poivre et sel, il apparaît tel un volcan islandais, la glace au-dessus des pierres de lave, et prêt à en découdre avec toute l'Europe.
Le son est puissant, clair, un peu métallique. En second morceau, il enchaîne avec "Mademoiselle" dans une version qui devient de plus en plus énervée. Le voici qui prend ses cymbales qu'il frappe avec force. Ensuite, il offre au public une magnifique version de "Mourir à plusieurs", très électrique, rugueuse et bluesy.
Ce n'est qu'après trois chansons qu'Arno s'adresse au public. La voix est éraillée, reconnaissable entre toutes. Sa version piano de "Elle pense quand elle danse" est en parfait état de grâce, avec une montée en puissance irrésistible. Les titre du récent Brusseld sont à l'honneur. Toutes les versions sont encore plus excellentes sur scène que sur disque.
On retiendra en particulier la version tranchante très white-noise de "God Save The Kiss" sur laquelle la voix de la choriste dans des envolées arabisantes rappelle Minimal Compact. Il y a trente ans, Bruxelles était déjà un creuset de diverses musiques et de diverses cultures, dont Arno continue à tirer le meilleur jus.
On est face à un working-class hero qui, comme dans "Lola", ne porte pas d'after-shave.
Lorsque l'accordéon est de sortie et qu'Arno explore plutôt son héritage de la chanson populaire européenne que le blues, l'arrière de la scène se colore de loupiotes bleues, vertes, jaunes et rouges. C'est le cas sur "Le lundi on reste au lit", "Je veux nager" ou "Les filles du bord de mer".
On espère d'ailleurs que Jean-Luc Hess était dans la salle, lui qui, il y a 15 ans, avait accueilli Salvatore Adamo un après-midi au micro d'Inter en lui disant qu'il le remerciait d'avoir écrit "Les filles du bord de mer", "pour la version qu'en avait faite Arno". Jean-Luc Hess n'aurait pas été déçu, il y a eu tellement de vagues au Casino de Paris que la salle entière a été emportée.
A la fin du concert, après l'incontournable "Putain, Putain", l'air était chargé de sueur et on ne comptait plus les gobelets de plastique jetés par terre qui avaient contenu de la bière.
C'est un public bruyant et ravi qui a retrouvé les rues parisiennes après ce concert généreux. Un public qui, on le sait, reviendra voir Arno, un des derniers alchimistes à mélanger dans un cocktail détonnant chanson et rock, folie furieuse et sensibilité, exhibitionnisme et pudeur de l'âme. |