Dans les mille manières de faire des mondes, les héroïnomanes ont tous les droits, toutes les excuses pour créer des univers torturés – voilà ce que je me dis à l'écoute de Serena Maneesh.
Soyons clair : je ne sais pas le moins du monde si Emil Nikolaisen et ses acolytes se droguent, si leurs rêves sont cannibales, leurs descentes catastrophes. Pour moi, ils pourraient tout aussi bien être de bons pères de famille, interdisant à leur adolescente de fille de sortir après 22h samedi prochain. Mais leur musique respire de ces angoisses malsaines, de ces tortures intimes qui ne se résignent pas. L'urgence du manque, l'obsession qui la précède et la suit, inlassablement ; la violence du vertige, ses nausées, jusqu'aux paradis paradoxaux. La misère ici-bas, se prenant pour un albatros – qui aurait rongé lentement ses propres ailes. Amplement de quoi servir de bande originale à un nouveau Requiem for a trainspotting, manifeste électro-shoegaze d'une génération perdue, façon road trip interminable sur un parking désert. Comme pour justifier cette atmosphère, c'est dans une cave de la banlieue d'Oslo que les suédois ont enregistré leur deuxième album. Durant de glaciales nuits d'hiver, on n'en doute pas. On se souvient qu'Ulan Bator s'était un temps installé dans une ancienne mine de charbon, alors pourquoi pas. Les univers souterrains inspirent les musiciens.
Il y a là-dedans les influences mêlées de My Bloody Valentine, Stereolab, Sonic Youth, tout le shoe-gazing, l'indé-torturé et même certainement un peu de dub : une énorme basse, de la reverb, pour un peu on se croirait chez Ez3kiel + Hint, une certaine fureur viking en plus.
Les mauvaises langues qui ne savent pas vivre avec leur temps ressortiront pour l'occasion Loveless de leur placard histoire de s'offrir un voyage en nostalgie – et passer à côté de l'album, qui par sa production mettant l'accent sur l'épaisseur sonore et une certaine agressivité, toutes deux très au goût du jour, laisse loin derrière elle son vénérable ancêtre. Il serait temps de classer les affaires anciennes : My Bloody Valentine a ouvert la voie et, comme tous les fondateurs, mérite notre respect. Pour autant, le quartet irlandais est, sur disque, dépassé depuis bien longtemps. Abyss in B minor en est une nouvelle preuve, aussi indubitable qu'excellente. |