Le premier album d’Elliott Smith, Roman Candle, a récemment été réédité. Sorti en 1994 dans une relative confidentialité, il correspond à un recueil de démos acoustiques d’une grande beauté. C’est avec l’aide d’un quatre pistes qu’Elliott Smith a pu s’enregistrer dans un dépouillement instrumental : seules quelques voies de guitares acoustiques s’agencent avec clarté. Ce minimalisme, produisant une certaine sécheresse musicale, n’est pourtant pas perçu comme tel : la puissance mélodique des chansons annule en fait ce dépouillement. Pour donner une idée de la profondeur du disque, on peut citer le Pink Moon de Nick Drake, avec lequel il ne rivalise pas encore, mais vers quoi il semble s’approcher : c’est-à-dire un savoir-faire mélodique immédiatement reconnaissable, la combinaison voix-guitare atteignant de rares sommets d’élégance.
La mélancolie de Roman Candle annonce le programme qu’Elliott Smith s’acharnera à prolonger jusqu’à son dernier album, jusqu’à son suicide : je veux parler d’une désillusion à l’endroit des bonheurs de l’existence. Et sur ce premier disque la vulnérabilité d’un homme, incapable d’entrer dans le monde adulte, se ressent plus que dans le reste de l’œuvre : parce qu’une riche production n’est pas là pour créer une cohérence, permettant de dépasser le constat pessimiste sur le monde. Ici, au contraire d’un album parfait comme XO, Smith ne se protège pas : il se livre à nu, sans savoir si ses chansons vont être entendues ; sans chercher à cacher ce qui est susceptible de trop le dévoiler. Quinze ans plus tard, ce premier album reste comme le plus précieux (sans être le meilleur), parce qu’il décrit les blessures et angoisses d’un âge (25 ans) où le refus des responsabilités du monde adulte équivaut à une lutte de tous les instants pour ne pas sombrer. Vivre vite, mourir jeune − tel est l’impératif catégorique d’un artiste n’ayant jamais cessé de vivre contre le temps : à contretemps du monde. |