Comédie dramatique de Pierre Astrié, mise en scène de Carole Anderson,
avec François Macherey, Coralie Nicot et Claire Antoine.
Elles sont là, avant que le public ne rentre dans la salle, elles le suivent, elles le traquent, l'accablent ou le sauvent. Elles habitent sans répit l'inconscient de l'homme en gris. Elles : ce sont les voix, les émotions, les instincts.
Elles sont sauvages, bien mal élévées. Elles sont de tous les âges, de tous les sexes. Elles n'ont pas de limites. Alors le langage est cru, les envies bestiales. Avec des éclairs de poésies, de séquences de films à suspens. Elles savent danser, jouer du piano, chanter. Elles s'affolent mais ne quittent pas d'un pouce la tête de l'écrivain qui s'habille en gris et qui écrit un journal. Tandis qu' il est bien terne au milieu de sa famille si conforme, il est muselé et contraint dans ses relations avec les femmes et ...silencieux, tandis qu'en lui se déchaînent ses habitants de l'inconscient.
La mise en scène de Carole Anderson sait jouer avec la salle des Déchargeurs, salle voutée à recoins, à escalier, qui illustre ici les replis de la mémoire et l'association d'idées. Elle aurait pu choisir de rester sur la forme du monologue intérieur, avec un seul récitant. Le fait d'avoir multiplié les comédiens, en des réalisations inattendues ( un homme d'une quarantaine d'année, chauve, aux yeux noirs, une jeune femme longiligne et blonde aux yeux bleus, et une adolescente bonde aux yeux noirs) qui relaient à tour de rôle la parole libre de notre écrivain, est une des forces de la pièce. Ainsi foisonne-t-elle, vibre-t-elle; le spectateur perd pied dans ce jeu de dédoublement, dans ces situations surréalistes. Il est plongé dans un rêve, n'est-ce pas l'effet recherché.
François Macherey et Coralie Nicot, les deux comédiens principaux supportent l'un après l'autre un même fil narratif. Sans jamais se rencontrer, se parler, voire se regarder, ils nous livrent un fabuleux numéro d'équilibriste, complémentaires et opposés à la fois. Musiciens, ils ont tous les deux obtenu des distinctions au piano, ils évoluent avec grâce, humour et décalages sur une partition qui n'est pas facile. Ils donnent corps à des instincts, et voix à un texte parfois violent et érotique. On admire alors leur naturel et le fait qu'ils se régalent de leurs débordements. Claire Antoine qui incarne l'enfance et la persistance de l'enfant dans l'adulte est davantage dans la retenue, comme un contre point sérieux et digne.
Ce spectacle est tout à la fois l'exploration d'un rêve et d'une folie, avec une tension libératrice.
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