Réalisé
par Apichatpong Weerasethakul. Thaïlande. Drame.
Durée : 1h53. (Sortie 1e septembre 2010). Avec Thanapat Saiayamar, Jenjira Pongpas, Sadka Kaewbuadee et Natthakarn Aphiawonk.
Pour le cinéma, les Palmes d’or cannoises ont souvent les mêmes défauts que les prix Goncourt en littérature : elles récompensent des films inscrits dans l’ère du temps artistique et traitant de “grands sujets de société” à la mode.
Il y a bien sûr quelques exceptions chargées de “redorer” ladite palme. Mais si l’on s’attarde sur cinquante ans de palmarès, on verra que de nombreux cinéastes majeurs, et parmi eux les grands artistes du Septième Art comme Andréi Tarkowski et Robert Bresson, ont été oubliés.
Cette année restera celle d’une Palme d’or d’un troisième type : ni chef d’oeuvre, ni film en conformité avec son époque. Une pure surprise, une vraie incongruité.
Avec son réalisateur au nom imprononçable (Apichatpong Weerasethakul) et son film au titre étrange ("Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures"), la Palme d’Or 2010 marquera pour certains les tablettes en tant qu’anomalie absolue.
Ils lui auraient préféré le sage film plan-plan de Xavier Beauvois, "Des hommes et des Dieux". Film à sujet, film illustratif, filmant le religieux sans faire passer le moindre souffle de transcendance, "Des Hommes et des Dieux" est effectivement l’anti "Oncle Boonmee".
À vrai dire, le film thaïlandais a une qualité rare pour un film provenant d’un "pays tiers" : il n’est pas compréhensible totalement par un spectateur occidental. Weerasethakul a donc d’abord pensé aux Thaïlandais avant de chercher à viser d’emblée le spectateur moyen mondial et à satisfaire les désirs de ses coproducteurs européens.
Ne pas avoir tous les codes, ne pas saisir immédiatement tout ce qui se passe et ce qui dit dans le film, voilà qui devrait susciter la curiosité des vrais curieux, pas de ces spectateurs qui vont, uniquement pour se distinguer en matière de consommation culturelle, voir des films issus de cinématographies mal connues, mais qui entendent ne pas faire plus d’effort de dépaysement que les touristes qui se rendent au bout du monde dans des clubs de vacances standardisés.
Avec "Oncle Boonmee", il faudra faire un certain effort, ne pas craindre d’être un tantinet dérouté, voire irrité, par les dispositifs singuliers qui vont se succéder sur l’écran.
Une fois "rentré" dans le film, on s’engouffrera dans la plus universelle des histoires : celle où les vivants espèrent, en vain, ne pas mourir et rêvent de voir revenir parmi eux leurs morts. On sera alors saisi par l’humanisme délicat du cinéaste thaïlandais, sa manière subtile d’aborder à la fois ce qui dépasse l’homme et d’évoquer ce qui unit croyants et agnostiques.
Tout cela en remplissant son cadre d’images très personnelles et d’actions stupéfiantes. En termes choisis, on appelle ça de la mise en scène.
Mine de rien, Tim Burton n’a peut-être pas été un Président du Jury facétieux en octroyant la récompense suprême à Apichatpong Weerasetakhul. L’avenir pourrait confirmer son choix. On attend donc avec impatience ses prochains films pour vérifier si, pour une fois, un Tarkowksi ou un Bresson n’aura pas échappé à la sagacité de la lourde machine cannoise.
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