Comédie dramatique écrite et mise en scène par Wajdi Mouawad, avec Jean Alibert, Tewfik Jallab, Catherine Larochelle, Marie-Ève Perron, Lahcen Razzougui, Emmanuel Schwartz, Guillaume Sévérac-Schmitz et Richard Thériault;
C’est toujours une expérience unique que d’aller voir un spectacle de Wajdi Mouawad. Il y a incontestablement une ambiance
particulière qui précède chacune de ses représentations. Et je ne parle même pas de celle qu'on connu les petits veinards qui ont pu
passer la nuit dans la Cour d’honneur du Palais des papes à Avignon l’an dernier pour la trilogie " version mistral"…
Sans doute pour ce qui sera la dernière série de dates en France de ces trois spectacles, le Théâtre National de Chaillot est donc en ébullition.
"Littoral" est la première des trois pièces (avec "Incendies" et "Forêts") et elle ressemble aux deux autres : on retrouve les
thèmes chers à l’auteur : la mémoire, la guerre, la souffrance, les promesses faites…
Au départ de l’histoire, Wilfrid, un jeune
homme, vient de perdre son père. Cet événement sera l’élément déclencheur d’une remise en cause et d’une quête (encore un thème
fétiche) pour trouver un lieu où l’enterrer.
Au cours de son voyage dans un pays en guerre, accompagné d’un chevalier tout droit
sorti de son imagination, il rencontrera une femme qui apprend par cœur les noms des disparus avant de les consigner dans un
registre, d'autres qui chantent, rient ou qui crient de l’autre côté des montagnes comme pour témoigner. Des personnages qui ont tous
en commun de vouloir tourner le dos à la guerre et communiquer, que ce soit par la voix, le rire ou l’écriture.
Wajdi Mouawad oppose à la violence sordide d’un pays dévasté, l’imaginaire. Il fait apparaître un "chevalier en rêve" et un mort qui parle, conversant
tous deux. Dans cette vaste fresque, le burlesque côtoie ainsi le drame, l’absurde la poésie. Il y a comme toujours des
affrontements et des interrogations sur le sens de l’existence.
Mouawad nous offre un spectacle complet avec une approche picturale
et plasticienne. Le travail sur les lumières est remarquable également et nous immerge encore plus dans ce rêve. Le mise en scène est
somptueuse et emprunte au langage cinématographique avec des déplacements semblables aux mouvements de caméra qui donnent au récit
de la fluidité pour un personnage qui voit le monde comme un film, un rêveur qui gesticule et sera réveillé par la vie.
Certes, au cours des trois heures de cette tragédie moderne, on peut perdre le fil parfois, mais l’auteur déroule peu à peu son
histoire qui prend de l’envergure au fur et à mesure et nous offre un final éblouissant de force et de beauté. Dans une scène
d’anthologie, le père peut enfin avoir une sépulture, amarré aux fonds marins par les noms des disparus qui le relie à son pays.
Une réussite manifeste à laquelle concourt le jeu choral de tous les comédiens et un incontournable moment de théâtre. |