Comédie dramatique d'après l'oeuvre de Molière,
mise en scène de Marc Sussi, avec Joris Avodo,
Frédéric Baron,
Philippe Bérodot,
Simon Eine,
Jonathan Manzambi et
Lyn Thibault.
Mettre en scène "Dom Juan" est un exercice des plus délicats, tant la pièce offre de possibilités. Le simple choix des acteurs est déjà primordial : Sganarelle est-il jeune et beau, empli d’admiration pour son maître ou bien pitre travesti qui se moque de tout ou encore simple émanation d’un peuple conscient de ses limites et de son incapacité à une rhétorique nécessaire dans la bataille des idées.
Dom Juan est-il un quinquagénaire ayant beaucoup vécu ou un jeune homme de vingt cinq ans, est-il en quête d’une spiritualité que l’amour humain ne peut satisfaire, ou frimeur et coureur de jupon ? On voit donc bien l’immense place qui est laissée dans l’œuvre à l’interprétation, faisant de celle-ci tour à tour "une comédie religieuse" (Louis Jouvet, 1940) ou "une présence de l’athée" (Barthes à propos du spectacle de Jean Vilar, 1954).
Marc Sussi, directeur du Jeune Théâtre National, signe ici sa première mise en scène, et prend le parti de nous montrer un jeune Dom Juan (Joris Avodo), flanqué d’un serviteur plein de bon sens populaire (l’excellent Philippe Bérodot). L’intégralité des rôles féminins est interprétée par une même comédienne (Lyn Thibault) tandis que les rôles secondaires, dont certains ont été coupés, sont joués par seulement deux personnes (Frédéric Baron et Jonathan Manzambi).
Mis à part Simon Eine (excellent dans le rôle du père), les comédiens ne quittent jamais la scène, effectuant les changements de costumes et de décors à vue. Dom Juan et Sganarelle semblent ainsi tourner en rond, rencontrant encore et toujours les mêmes personnes, qui sont pourtant autres. On est dans un présent théâtral qui sert fort à propos le parti pris de Marc Sussi de nous montrer un Dom Juan plein de fougue et de jeunesse, souhaitant vivre sa vie sans rendre de compte à la mort, au rythme de ses désirs et d’eux seuls. C’est moins par misogynie que par égoïsme que notre héros semble "pécher". Il en fait un bravache, un jouisseur qui avance avec en étendard, il faut bien le reconnaître, le courage de transgresser les règles morales établies au nom d’une vie après la mort et dénonce l’hypocrisie des pouvoir religieux qui manipulent le peuple. C’est d’ailleurs le manquement à ce courage et le fait de verser lui-même dans l’hypocrisie qui perdra notre héros.
En resserrant la distribution, et en épurant la scène, Marc Sussi crée un huis clos dévastateur pour Dom Juan, qui tourne, tourne, n’en fini plus de tourner dans une quête qui finit par nous apparaître vaine, pour finalement se faire rattraper, par ce qu’on pourrait interpréter comme étant sa conscience, lors de la scène finale.
L’apparition de Simon Eine magnifique en Dom Louis, donne une place primordiale au rôle du père, traité au même titre que Dom Juan et Sganarelle, comme un rôle principal, puisque dédié à un seul comédien.
Très théâtralisée, cette adaptation de Dom Juan surprend car elle tranche avec les références posées par Louis Jouvet ou Jean Vilar, mais a le mérite d’interpeller et de susciter la réflexion. Les partis pris du metteur en scène prive la pièce, qui se veut plus introspective que narrative, d’une certaine vivacité qu’on aurait pu attendre au vu de la jeunesse de la distribution. |