J'ai passé le 10/10/10 en compagnie de Laetitia Sheriff et ses amis. Il y a tellement longtemps que j'étais tombé sous le charme de son premier album (Codification, 2004) que je n'aurais même plus pensé qu'il serait possible de la croiser. Je l'imaginais de l'autre côté d'un océan, sortie du monde dans lequel moi j'existe. Il fallait au moins à de telles retrouvailles une date symbolique.
Comme on se lasse des facéties d'une aimée toujours trop malheureuse, toujours en deçà de la hauteur de notre amour, je m'étais détourné d'elle à la sortie de Games Over (2008). Pas précisément parce que je ne l'aimais plus. Plutôt parce qu'à trop attendre, on n'attend plus. Je n'attendais pas de deuxième album. J'avais fini de l'aimer quelques années plus tôt, impatienté par son invisibilité. Je n'avais pas eu envie d'écrire un nouveau chapitre de notre histoire. Fin de partie, justement.
Encore un peu plus de temps a passé puis j'ai cessé même de ne plus l'attendre. Je me suis détaché même de mon détachement. Jusqu'à l'indifférence. On m'a dit que pendant ce temps-là elle avait joué de la basse avec un autre, Piers Faccini. Chemins séparés, directions contraires, nos retrouvailles n'ont eu aucune évidence. Elles n'avaient plus aucune importance. Comme de rencontrer une inconnue. À n'en pas reconnaître une note d'elle. Comme on ne reconnaît plus vraiment la voix, les gestes, quand est passé le temps.
Pourtant, la date avait au moins cela de particulier : désormais installée à Rennes, voyageant avec les camarades là-bas rencontrés de We Only Said, Laetitia Sheriff revenait à Lille qui l'a vue naître. Avec une émotion notable. Elle y revenait seule en scène pour accompagner la sortie de son nouveau disque, 33t à la distribution confidentielle ("à l'ancienne", explique laconiquement la page Myspace de l'artiste, ersatz de site officiel) présentant de nouvelles versions, live et solo à la guitare baryton des titres de ses deux albums, accompagnés de quelques inédits de bonne facture. Là aussi, émotion au rendez-vous. Et surtout un projet original qui permet de confirmer que la française vaut mieux que tous les succédanés de P.J Harvey auxquels on a parfois voulu la réduire.
La voix si riche de la chanteuse, soutenue par les sonorités profondes et inhabituelles de la guitare baryton (qui est comme le chaînon manquant entre la guitare et la basse), démultipliées par la magie de l'autosampling, auront suffi à remplir entièrement l'espace obscur séparant la scène du reste de la salle. Avec un art affirmé de l'apesanteur, du silence consommé, la chanteuse aura su captiver un auditoire enthousiaste, qui n'aura pas économisé ses applaudissements, jusqu'à se voir finalement refuser, plus ou moins à contrecœur le rappel supplémentaire qu'il espérait – au profit d'un heureux moment de convivialité partagé avec la chanteuse, manifestement contente de se détendre au bar de la très conviviale Péniche.
De We Only Said, on retiendra la bonne humeur un peu légère et le post-rock de bonne facture à la façon de My Education, sous la claire influence de The For Carnation et servi par un trio de guitares orfèvres porté par une section rythmique de bon aloi (basse-batterie ou à quatre bas autour des fûts). On retiendra aussi le plaisir évident de tourner avec Laetitia Sheriff, et de partager avec elle la scène, le temps d'une apparition en guest et d'une politesse rendue le temps d'un rappel, pour quelques titres communs tout à fait délicieux.
Il est, parfois, de bonnes surprises à ne plus rien attendre. Malgré son silence, malgré la difficulté à suivre sa trace dans ce monde de communication, Laetitia Sheriff est toujours là, quelque part et il serait idiot de la manquer, que cela soit parce que l'on boude son plaisir ou parce que l'on oublierait de prêter attention à son nom dans les entrepages des programmes musicaux. |