Ce soir, le Fil propose un concept original : rassembler sur un concert trois chanteurs solos. En tête d'affiche, le bluesman connu sous le nom de The Legendary Tiger Man, il est accompagné des musiciens Rïkett et GranFred. La salle du bar club est assez bien remplie, mais le public quelque peu frigide évite de trop se rapprocher de la scène.
Et c'est GranFred qui ouvre le bal des musiciens solitaires. Les lecteurs assidus ont pu découvrir l'artiste stéphanois lors d'une Froggy's Session en janvier dernier. Armé d'une simple gratte, GranFred livre une poésie sombre servie sur un rock folk racé. Debout comme un pique au milieu d'une scène obscure, il nous fait rentrer petit à petit dans son univers. Sa voix gronde lentement avec assurance. La guitare électrique offre un son simple, rond tout en gardant un côté pointu soigneusement étudié. Des loops ou des cymbales charleston viennent apporter un peu plus de volume sur certaines chansons.
Le musicien a peaufiné sa technique et son style pour le plaisir de l'auditoire. La voix mieux maitrîsée, l'humour et le côté noir des paroles ne sont que mieux appréciés. Oscillant entre rock et folk, les chansons s'écoulent comme une liqueur sirupeuse et imbibent nos oreilles. A regret, le plaisir offert par le géant n'est pas très visuel ; on aimerait aussi parfois un clavier ou une batterie pour apporter une puissance qui manque à certains morceaux. Mais c'est là le défaut d'un projet entièrement solo. On retiendra que comme un bon whisky, GranFred gagne en qualité avec le temps, attendant avec impatience de voir la suite de son évolution.
Pour faire la transition entre GranFred et Rïkett, les deux hommes nous offrent une excellente reprise de "Young 'Till I Die" de 7 Seconds, feu groupe de punk des années 80. Rïkett est lui aussi un artiste de la scène foisonnante locale (quand on vous dit qu'il n'y a pas que du football à Saint-Etienne).
De la ballade punk, voilà certainement le meilleur moyen de définir sa musique. Rïkett possède d'abord une voix terrible, éraillée, puissante, digne des meilleures années du punk. Il l'utilise jusque dans ses derniers retranchements et on a parfois peur qu'une corde vocale lache en plein morceau tellement il tire dessus. Il chante avec toutes ses tripes pour ainsi dire ce qui confère un côté assez authentique.
Luthier hors des planches, il est accompagné de toute une floppée de guitares électro
acoustiques disposées tout autour de lui sur la scène.
Habitué à jouer dans les bars, Rïkett blague pas mal entre chaque morceau et installe une bonne ambiance dans le public et le fait chanter en coeur sur "Could go". Chantant tantôt en anglais tantôt en français, il permute aussi entre chanson festive et d'autres plus intimistes parfois accompagnés d'un harmonica. Le set traîne parfois en longueur et on aurait préféré qu'il soit raccourci pour gagner en intensité. Une fois sa prestation terminée, c'est avec plaisir que l'on verra le sympathique musicien rejoindre la foule pour la dernière partie du concert.
The Legendary Tigerman, un nom qui ne montre pas les origines portugaises de la dernière partie. Paulo Furtado de son vrai nous fait ce soir une démonstration de son sujet : le blues. Le blues, il le puise dans l'embouchure du delta du Mississippi pour le ramener dans le monde moderne. Pour cela, le homme-tigre légendaire est équipé d'une pléiade d'outils, des guitares bien sur mais aussi une batterie, des beats, des loops, des samples et évidement sa voix. Comme un lien entre le passé et le présent, un effet saturé sur un de ses micros voix vient apporter une touche rétro face à toute la technologie déployée.
Dans le dos de l'homme orchestre, des court-métrages viennent mettre en scène des instants de vie de femmes dans des situations anodines, sensuelles, humaines en quelque sorte. Une apologie abstraite de la femme libérée se trame en fond et anime le concert.
Mais, encerclé par ses instruments et les vidéos on perd un peu le contact avec le portugais. C'est bien fait, propre, maîtrisé, sexy, savamment étudié, trop étudié en fait, il n'y a presque aucune place pour l'inattendu, la graine de folie qui peut naître dans un concert.
Le summum de ce problème est atteint sur la chanson "The saddest thing to say" : le duo avec Lisa Kekaula des BellRays est résumé à une vidéo enregistrée de la chanteuse et perd toute sa saveur surtout quand on a déjà pu apprécier la puissance scénique de l'américaine. A la fin du concert, malgré une bilan positif on se demande toutefois si l'homme orchestre ne ferait pas mieux de trouver des comparses. Il y gagnerait peut-être en spontanéité et en échange avec le public. |