Drame de William Shakespeare, mise en scène de de Nikolaï Kolyada, avec Oleg Bilik, Evgeny Chistyakov, Maxim Chopchiyan, Irina Ermolova, Sergeï Fedorov, Natalia Garanina, Konstantin Itunin, Liubov Kalugina, Sergeï Kolesov,
Svetlana Kolesova, Nikola Kolyada, Alexander Kuchik, Vasilina Makovtseva, Anton Makushin, Irina Plesnyaeva, Serge Rovin, Maxim Tarasov, Vera Tsvitkis, Alexander Vakhov, Oleg Yagodin, Aleksander Zamuraev et Tamara Zimina.
L'année France-Russie entraîne une déferlante du théâtre russe et, pour le spectateur passionné et curieux, une opportunité exceptionnelle non seulement de voir le theâtre russe joué par des russes mais également de voir le théâtre dit "occidental" interprété par des comédiens russes.
Dans ce registre, et dans le cadre du
Festival d'Automne à Paris, le Théâtre National de l'Odéon recevait le "Hamlet" mis en scène par Nikolaï Kolyada, metteur en scène
originaire du Kazakhstan, qui a implanté son théâtre à Ekaterinbourg et réuni une troupe de comédiens rodés à la performance et au jeu physique.
Le théâtre élizabethain subit en l'occurrence un relooking spectaculaire et le texte original de Shakespeare des amputations radicales qui, au final, ne nuisent pas à sa compréhension et dispensent quasiment de la lecture des surtitres. Tout cela bien évidemment en ne restant pas arc-bouté sur la déification du répertoire classique. Car la chair des mots a été mâchée au cours d'un banquet cannibale pour être restituée par le corps des convives officiants.
Nikolaï Kolyada immerge Shakespeare dans une mythologie singulière qui puise certainement dans un imaginaire fécond et syncrétique mais également dans des traditions khazake. La cour d'Elseneur est une cour des miracles issue d'un bas moyen age frustre et rustre dont l'iconographie ressortit davantage de la flamboyance de Paul Verhoeven par exemple dans son film "La chair et le sang" que de l'esthétisme hightech de Giorgio Barberio Corsetti quand il monte "Gertrude, le cri".
Peuple et cour royale, habillés de bric et de broc qui symbolise un pourpoint unisexe, ont le visage habitants de la ville d'Halloween, portent collier de chien avec laisse accrochée au poignet (maitres ou prisonniers d'eux-mêmes ?) et tirent la langue en permanence comme des pendus.
Sur fond de toiles accrochées à la manière du 19ème siècle, au milieu d'amoncèlements de coussins, de canettes et de tissus, il ne manque que la yourte, se déroule un spectacle qui tient autant de la bouffonnerie, de la commedia dell arte revisitée que du paganisme barbare dispensée par une troupe excellente.
Notamment scandée par une même sarabande sur une musique qui rappelle celle composée par Paul Dukas illustrant la marche des balais porteurs d'eau dans le dessin animé "Fantasia" et dans laquelle il est également question de seaux mais ici remplis de bouchons objet rituel d'agapes orgiaques, la première partie du spectacle est constituée d'une interminable scène d'exposition en tableaux redondants dans laquelle le metteur en scène et scénographe développe tant son parti pris esthétique, héritier du nouveau réalisme des années 60 - récupération et accumulation vintage - que sa vision du Danemak shakespearien.
En revanche la seconde partie est saisissante, sans doute cela tient-il aussi au contraste. Centrée sur le personnage titre, elle atteste d'une très grande maîtrise et connaissance du texte. Chaque scène prend une dimension boschienne et est portée par un jeune comédien
exceptionnel qui est le pendant russe de l'allemand Alexander Sheer.
Oleg Yagodine, physique de Petit Prince, est un Hamlet compulsif, sauvage,exalté, fragile comme un jeune page et violent comme un ange de l'apocalypse. Hanté par le spectre de son père, spectre saint sulpicien portant un T-Shirt goth interprété par Nikolaï Kolyada, ce Hamlet des steppes dévaste tout, lui compris, laissant le spectateur définitivement conquis et terrassé. |