Il n'exagérait peut-être pas tant que ça, Renaud, lorsqu'il déroulait dans son Hexagone le calendrier des célébrations populaires, opium d'un peuple ayant oublié de se consacrer aux choses réellement importantes. Ce samedi 29 mars, j'aurais volontiers fustigé le long week-end de la Toussaint, qui a vidé le Grand Mix de son public, habituels curieux et érudits amateurs d'indépendances musicales certainement appelés ailleurs en France pour célébrer en famille le week-end des morts – il faut bien cela : un jour par an, sur commande...
A moins qu'il faille croire que c'est par simple dédain pour des noms trop peu connus que le public a préféré déserter ce soir-là la salle tourquennoise ? L'affiche ne payait effectivement pas de mine, couverte de noms peu connus, jusqu'à la tête d'affiche : Mice Parade. Mice parade ? C'est qui Mice Parade ? Connaît pas, Mice Parade... Et c'est bien normal, après tout, puisque la bande d'Adam Pierce, qui en est aussi l’anagramme, n'a sorti que huit albums ces douze dernières années.
Huit albums déroutant, empruntant autant au rock, qu'à d'autres familles musicales, parfois bien plus traditionnelles : guitares classiques, jeu flamenco, influences africaines, notamment sensibles sur le nouvel opus (What it means to be left-handed, 2010), le tout relevé de quelques touches d'électronique. La multiplicité de ces influences enrichit le post-rock de la formation de couleurs chaudes, qui lui permettent d'éviter le cliché du noir et blanc nihilo-contestataire. On notera également que la formation compte dans ses rangs l'excellent batteur Doug Sharin (l'âme de HiM, mais également le coeur rythmique d'Enablers, Codeine ou June of '44 – c'est dire le palmarès), dont le jeu sec et inventif vaudrait à lui seul le déplacement.
La prestation scénique, simple et sans fards, aura surtout permis de découvrir le plaisir manifeste qu'ont les six musiciens à jouer ensemble, l'émotion les saisissant même le temps d'un au revoir à la chanteuse, qui jouait ce soir-là sa dernière date de la tournée avec le groupe. C'est aussi (d'abord ? surtout ?) cela, un concert : des humains qui jouent ensemble une excellente musique. Le reste n'est qu'affectation commerciale – que nous épargne heureusement Mice Parade, se contentant de saisir l'occasion de déployer sa musique, de lui donner pour ainsi dire une profondeur nouvelle : celle de la scène, dira-t-on platement ; celle d'une musique vivante, dira-t-on plus justement, comme en train de s'écrire devant nos yeux. Joie de vivre musicale communicative, qui aura su donner à tous le sourire et un peu de brillance dans les yeux, par exemple le temps d'un duo de batterie Adam Pierce – Doug Sharin ou à l'occasion de l'emportement de quelques saturations.
La soirée aura également été riche en première parties, avec tout d'abord Boy & the Echo Choir. Formation à géométrie plus ou moins variable, centrée autour de Boy (Caroline Gabbard) et incarnée sur scène en trio. Les compositions puisent dans les ressources inattendues d'une scie musicale, d'un vibraphone ou d'un accordéon ce qu'il faut de légèreté pour porter le chant mélancolique qui s'est arrimé au piano ; dans une batterie réduite à sa plus simple expression ce qu'il faut de feu pour les animer. De beaux moments de retenue, d'autres d'une tension tout en nostalgie. Aérien mais brûlant. Doux mais brûlant. Parfois froid mais brûlant.
C'est une prestation tout aussi délicieuse qu'aura délivré le lillois X.b, perché sur le grand angle du bar du Grand Mix le temps que l'on réhabille la scène. Volcaniques explosions d'un post-rock seul en scène, autosampling complexe, superpositions sonores entêtantes, à la guitare ou à la voix. Comme un condensé, façon homme-orchestre post-moderne, de Sonic Youth, Slint et des premiers Mogwai. Abrasive, dense, la musique d'X.b a en outre pour elle le charme d'un certain mystère. Un artiste à suivre, assurément ; d'aussi près que l'on y parviendra...
Seul temps (raisonnablement) faible de la soirée, Denis Jones, également seul en scène, aura peiné à convaincre le public de l'unité de sa démarche. Du blues-folk le plus pur, servi par une voix éraillée tout à fait de circonstance, aux beats d'une électro-bidouilleuse qui en est comme l'exact opposé, l'artiste mancunien tente de se faire le trait d'union. Rien de ce qu'il fait n'est vraiment désagréable, loin de là, mais tout paraît tout de même un peu vain, artificiel après les prestations authentiques de Boy & the echo choir et X.b. D'excellentes pièces détachées ne suffiraient donc pas à faire une bonne mécanique ?
La soirée restera certainement néanmoins au total comme l'une des plus belles dates de ce début de saison dans la métropole lilloise. On se dira, pour se consoler de la triste désertion du public, que l'on aura eu le privilège de l'avoir presque rien qu'à soi. |