Daniel Darc est de
retour après quelques années de quasi silence musical
au cours desquelles il n’aura toutefois pas abandonné
la plume et publiera quelques écrits.
Daniel Darc, c’est un survivant
de la scène punk française des années quatre-vingt.
Chanteur du groupe Taxi Girl, il fait
beaucoup parler de lui par ses frasques. Ainsi en 1981, en première
partie de Talking Heads, alors que le
public ne semble pas très attentif à sa prestation,
il sort une lame de rasoir et se taillade les bras. Le sang jaillit.
La légende va naître.
Dès lors, Daniel Darc n’aura de cesse d’explorer
son côté obscur pour prouver qu’il est le personnage
sulfureux qu’un certain public attend, au risque de se perdre,
au risque d’entrer dans l’oubli. Une vingtaine d’années
d’errance et d’abîme, plus tard, une rencontre,
un album et une tournée. Les critiques, le public le (re)découvrent.
Daniel Darc, le retour gagnant ?
Ecrivain maudit dont l’écriture s’adapte si
bien, comme il le reconnaît lui-même, au format de 3
minutes d’une chanson, héros rock-n’-roll par
excellence dans ce qu’il y a de plus de noir, le personnage
de Daniel Darc est rongé par des excès en tous genres
qui ne sont pas complètement derrière lui et qui ont
malheureusement laissé des traces. Une gestuelle approximative,
une diction ânonnante, une silhouette chancelante, en perpétuel
déséquilibre, des bras qui s’accrochent et embrassent
son interlocuteur du moment, pour ne pas tomber peut être
ou bien faire fuir cette solitude si palpable…
Daniel Darc, c’est une souffrance à l’état
pur, une manière-d’être franche, sans complaisance,
qui déstabilise. Une manière de planter son regard
dans le regard de son interlocuteur comme s’il souhaitait
en pénétrer l’âme. Un mal-être qui
provoque malaise, incompréhension, méfiance…
Mais Daniel Darc c’est surtout un personnage d’une grande
sensibilité, une soif d’absolu, une voix, un charisme,
une âme enfin, qui revit.
Une rencontre va matérialiser cette "résurrection"
, la rencontre avec Frédéric Lo,
auteur-compositeur avec déjà deux albums en solo à
son actif. De cette rencontre va naître une collaboration,
qui au départ se voulait ponctuelle, à l’effet
d’écrire une chanson pour Dani ("Rouge
Rose" qui figure également sur l’album
de Daniel) mais qui va bien vite prendre de l’ampleur et s’imposer
par son résultat : Crève-Cœur.
Grâce à cet album, la presse s’intéresse
à nouveau de près à Daniel Darc et de quelle
manière ! Il n’y a pas une semaine sans qu’un
article ne fleurisse dans la presse pour saluer le retour de Daniel
avec cet album que d’aucuns qualifient de véritable
"miracle musical". "Miracle", un vocabulaire
qui doit délicieusement résonner aux oreilles de Daniel
Darc, sauvé, selon lui, par la religion (catholique) à
l’instar de Johnny Cash à
qui il a dédié son dernier opus.
Avec cette collaboration, Daniel Darc a réussi à
extérioriser sa souffrance et à lui donner un autre
éclairage, grâce à la lumière des compositions
de Frédéric Lo. C’est la confrontation de deux
conceptions rocks, que l’on pourrait résumer comme
celle des Beatles et des Stones,
qui rendent cette souffrance supportable. L’optimisme des
mélodies de Frédéric Lo la sobriété
des arrangements, tempèrent et allègent le réalisme
noir de Daniel Darc.
Quel est le résultat sur scène avec la tournée
Rêve-cœur ? C’est ce que je suis allée voir
le 27 mai dernier à Ris-Orangis, au Plan, salle intimiste
de 600 personnes où la proximité avec la scène
et l’acoustique sont particulièrement agréables.
Une salle confortable en somme que je vous recommande !
Avec une heure et quart de retard (le concert était prévu
à 20 heures mais ne commencera qu’à 21 heures
15), je vais enfin le savoir. Daniel Darc, s’est fait attendre,
lui que la perspective d’entrer sur scène rend malade
arrive avec Frédéric Lo à la guitare, mais
également avec un autre guitariste, un batteur et un bassiste.
Le public majoritairement des 30-40 ans, attend patiemment l’arrivée
de Daniel Darc. C’est un public qui le connaît manifestement
bien et semble le suivre depuis quelques années. Un public
assagi (dans le bon sens du terme j’entends, savoir : débarrassé
d’un besoin viscéral d’autodestruction), à
l’image de Daniel Darc ?
Pendant deux heures, le groupe va enchaîner les titres de
Crève-Cœur : "Je me souviens,
je me rappelle" souvent joué en radio, "Rouge
Rose" que Daniel chante mieux que Dani
(c’est lui qui le dit !), l’émouvant "Jamais,
Jamais" que j’aime particulièrement, "Mes
amis (tour à tour)", "Inutile
et hors d’usage", la surprenante mise en musique
du "Psaume 23" pour lequel
Daniel Darc sort sa bible… Des titres qui poussent à
l’introspection, au recueillement d’autant plus que
Daniel Darc, habite littéralement la scène dans un
silence religieux de bon aloi.
Plus d’excès, Daniel pose sobrement sa voix et met
ainsi en valeur ses textes dans une ambiance feutrée, sans
fioritures, ni profusion de lumières ou autres mise, en scène
inutiles en l’espèce. Musique, texte et voix suffisent
à provoquer l’émotion. Loin des débordements
du passé, il semble à chaque mot prononcé en
mesurer la portée et l’effet induit sur le public,
conquis.
Cependant son set est loin d’être monochrome. La nostalgie
à laquelle on s’attend après l’écoute
de Crève-cœur est bien là mais les arrangements
de guitare, plus encore sur scène, lui donne une énergie
qui tend à l’optimiste. Je me répète
en écrivant cela mais le mélange des textes de Daniel
Darc et les compositions de Frédéric Lo ont pour effet
magique (!) de rapprocher des notions aussi contradictoires qu’espoir
et désespoir, optimisme et pessimisme, lumière et
obscurité et rappellent curieusement les oxymores que Daniel
Darc aime à utiliser.
En outre, Daniel Darc distille quelques reprises qui donnent du
rythme à cette soirée. Il n’oublie pas Taxi
Girl et son fameux tube, "Chercher le
garçon" repris récemment par la Star-Academy
(ce qui aura pour avantage de lui permettre de s’acheter un
nouveau piano !) ou encore "P.A.R.I.S.",
chanson sortie en 1984 mais dont les paroles semblent avoir été
écrites aujourd’hui. A cette occasion, il fera un clin
d’œil à son ex-complice, Mirwaïs
parti sous d’autres cieux collaborer aux albums de Madonna.
Daniel Darc va également reprendre des titres qu’il
a écrits en solo comme "Nijinski"
par exemple issu de l’album éponyme sorti en 1994.
Le public averti retrouve ses repères.
Il quitte ensuite la scène pour revenir pour un ultime rappel,
imprévu (les câbles sont déjà débranchés,
les musiciens en coulisse ou déjà au bar !), afin
de satisfaire un public qui n’a pas envie de quitter cette
ambiance. Daniel Darc, ému n’a pas non plus envie de
quitter la scène et se prête avec plaisir au jeu.
A la sortie, impression de sérénité, de n’avoir
pas perdu son temps en venant applaudir Daniel Darc. Retour gagnant
donc pour Daniel Darc tant sur les platines que sur scène,
retour durable, je lui souhaite.
Quel dommage toutefois d’avoir perdu tant de temps en se
brûlant les ailes…
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