Ce serait l'histoire d'une dépression. Celle d'une jeune femme et celle d'une société, sûrement. Comme un divorce, avec ses amertumes et ses déceptions. Un pamphlet plus qu'une réflexion. Un récit pour soulager son âme. Avec férocité et noirceurs. La jeune femme, ce serait Emilie Sapielak, trois années d'expérience et la jeunesse de ses vingt-huit ans. Professeur certifié de français actuellement en congé sans solde, autant dire en démission sous réserve. La société, ce serait la nôtre, ou plus exactement celle qui se cache dans ses ombres : celle des faits divers, des émeutes de banlieues, de la misère sociale condamnée à prendre l'escalier, d'une région parisienne ayant depuis longtemps passé par-dessus le bord de l'asphyxie.
Le livre a fait un minuscule vacarme en cette rentrée 2010. De la bonne chair à scandale, de quoi exciter le journaliste avide, l'interviewer curieux mais néophyte. Car le monde de l'école ne se laisse pas pénétrer si aisément par le regard et les quelques éclairages que délivre l'auteur, façon reportage en immersion, ont le goût de la gourmandise défendue. Allons donc voir ce qu'il s'y passe, dans le théâtre de cette comédie scolaire...
Le texte est écrit d'une plume élégante (on pariera, y a-t-elle pensé, que les anciens élèves d'Emilie Sapielak seront incapables de le lire... n'auraient-ils pas pourtant besoin, eux, qu'on les entretienne de ce qui se trame autour d'eux ? La révolution pédagogique, scolaire, qui semble la seule issue, doit-elle se faire dans les salons d'un IUFM d'ailleurs démantelé, d'une université peu concernée et mal informée, d'un palais républicain en dorures ? Quelle Bastille le peuple scolaire devra-t-il prendre pour que l'aristocratie cesse de lui recommander de la brioche lorsqu'il se plaint de manquer de pain ?). Il adopte sans réserve le point de vue du professeur, agent de bonne volonté mais dépassé, jeté dans l'arène d'un collège "sensible" (mot pudique) ; professeur lui-même doué d'une forte empathie à l'endroit de ses élèves, qui ne le lui rende pas nécessairement avec beaucoup de générosité ni même, simplement, de reconnaissance.
Malgré les réserves de principe que l'on peut avoir pour un livre qui, ouvertement, surfe sur la corde sensible et médiatique de la polémique scolaire, il faut reconnaître que cette École de la honte ne manque pas de mérites dans certaines de ses analyses, ce qui aura certainement le don d'énerver beaucoup d'acteurs (résignés ou non) de cette école.
Emilie Sapielak a raison quand elle demande à ce que soit réinterrogée la notion de "vocation", instrumentalisée certainement par l'institution pour faire avaler à ses agents des couleuvres ou des boas.
Emilie Sapielak a raison quand elle dénonce l'absence de formation des enseignants, réflexion que l'on aurait pu étendre à l'étonnant et discutable mode de recrutement des-dits enseignants, qui amène si souvent de tous jeunes diplômés sans aucune expérience de la vie (la vie réelle, hors de l'école) à prendre la place de "maîtres" pour une jeunesse issue d'univers sociaux toujours radicalement différents. On aurait pu aussi approfondir la réflexion, ici à peine esquissée, sur l'affectation des professeurs aux différents établissements, chef d’œuvre de bureaucratie administrative, d'abstraction de justice (façon : égalitarisme neutre prétendu) et d’inefficience pragmatique.
Emilie Sapielak a raison quand elle s'amuse à mettre en lumière quelques petites contradictions et quelques grosses absurdités de notre école, même si une mise en perspective socio-historique aurait pu enrichir son propos jusqu'à permettre une analyse pertinente du concept de "collège unique" avec ses ambitions et la réalité de ses mises en œuvre depuis 1975, dans la perspective de laquelle les tribulations et absurdités actuelles doivent nécessairement être interrogées.
Emilie Sapielak a raison quand elle cherche à réhabiliter les élèves, à montrer qu'ils ne sont pas les coupables mais les victimes du désordre scolaire actuel, quoiqu'ils en soient bien souvent les agents.
Emilie Sapielak a tort quand elle réduit l'école, celle qui pourrait prendre un "e" majuscule, aux établissements précis qu'elle a pu fréquenter lors de sa (très) brève carrière. Mais peut-être faut-il considérer que ses écoles, parmi les plus "difficiles" (autre mot pudique), sont comme l'échantillon agrandi jusqu'à l'observable de ce qui, ailleurs, n'existe pas de façon si flagrante, mais dont les effets seraient néanmoins bien réels quoique moins spectaculaires ?
Emilie Sapielak a surtout le tort de produire un ouvrage à charge, avec ses contradictions, ses petites injustices, avec la fascination d'une plume alerte pour la formule choc parfois hors de propos, ou tout au moins de proportion (ah ! ce titre... ah ! ce sous-titre...) ; avec, surtout, son erreur fondamentale : le mal décrit n'est pas celui d'une École, c'est celui d'une société, peut-être même d'une civilisation – les questions restées ouvertes de la place que l'on consent à accorder à la reproduction, de la place donnée à la jeunesse et de la fascination qu'elle exerce sur les adultes, de l'acceptation des règles et des contraintes, du projet social et du projet existentiel, des conditions d'exercice d'une liberté et d'une citoyenneté, de notre obsession pour une justice égalitariste plutôt qu'égalitaire et de notre acceptation quotidienne des inégalités les plus scandaleuses...
Et l'on attendrait d'un système d'enseignement qu'il surmonte, voire qu'il résolve de telles questions ? Emilie Sapielak ne va pas assez loin. Il ne s'agit pas de techniques pédagogiques ou d'aménagement du temps scolaire ; il s'agit des raisons qui nous poussent à vivre ensemble, et comment. L'auteur pensait apporter un éclairage nouveau en montrant que le problème de l’École est l’École elle-même. On dirait plutôt : l’École n'a aucun problème ; à la rigueur est-elle le lieu où s'expriment certains symptômes. |