Comédie dramatique de Jon Fosse, mise en scène de Patrice Chéreau, avec Valeria Bruni-Tedeschi, Pascal Greggory, Bulle Ogier,
Bernard Verley,
Marie Bunel,
Michelle Marquais et Alexandre Styker.
Après le Louvre, la pièce-événement de l’année a rejoint les gradins du Théâtre de la Ville. Le scandinave Jon Fosse, auteur fameux, frère de glace d’Ibsen ou de Strindberg, homme dans la maturité de son écriture, voit son nom écrit en lettres de même taille que celui du metteur en scène, Patrice Chéreau, mythe français, et, ici, cette outrageante égalité se justifie, pour une fois.
Dans un lieu imaginaire où les morts se sentent bien, un couple déchiré, habillé comme dans une salle d’attente, deux égarés entre deux divorceries déchiqueteuses , des contemporains en fuite, lui, père indigne, elle, non-mère, deuxième femme, vivent et revivent un présent qui décline, un passé en suspens, un avenir trouble, né de cette union trouble.
Passent Michelle Marquais, la grand’mère morte de l’homme, ses parents, son fils défunt (Alexandre Styker), sa femme drapée dans l’abandon : sont-ils de ce monde ? Oui, si l’on peut dire. Nos maisons ne sont-elles pas aussi habitées par ceux d’avant?
Au service d’un texte qui ne sombre jamais dans la morbidité, étrange exercice d’équilibrisme, deux immenses comédiens à découvrir vraiment, mal-révélés par un cinéma qui appuyait parfois un certain maniérisme et une prononciation chuchotée, gutturale des mots.
Formidable Pascal Greggory, père démissionnaire d’un monde qui tue les pères par charretées, humain, vibrant, éclaireur de ténèbres, flambeau éteint et rallumé, aux côtés de La Femme, longs cheveux, jupe, mots de réchauffement, chercheuse de pain pour le ventre et l’âme, catcheuse de la mort, incroyable Valérie Bruni-Tedeschi, et tous deux, dans ces amours de crypte - l’Amour est en passe d’être interdit - saisissent le silence, et leur cri porte magnifiquement dans ce grand théâtre antique de la Ville, de la Cité.
La mère de cet homme vieillissant, c’est la grande Bulle Ogier, Médée à petit chapeau, femme à l’ancienne, forte et chancelante, qui aime et poignarde avec naturel, jamais dépressive, aux côtés d’un Bernard Verley de mari, bien grand, bien anglo-saxon, bien au second plan, d’un naturel effrayant.
Enfin, la femme délaissée, Marie Bunel, promène son agressive silhouette de vengeresse avec la haine comme long manteau et le sang de sa blessure comme doublure.
Chéreau, peut-être las des miracles, en accomplit un de plus, dans ce décor de Louvre où le vide règne, où l’Eternité, c’est-à-dire la Mort, brave les visiteurs qui déambulent, le temps imparti. La beauté des attitudes, l’émotion, l’économie de moyens, l’omniprésence de la musique - qui, chez lui, n’irrite pas - tout concourt à cette prière de gestes. Il fait de ce texte, et malgré la traduction, convenable, un spectacle en français, en beauté et en harmonie, par la macération d’intuitions fortes que la langue française transforme en effluves.
Totalement bouleversant, sans explication, ni effets, "Rêve d’automne" ne ressemble qu’à soi-même, invente, nous renouvelle. |