Comédie dramatique de de Frank Wedekind,
mise en scène de Stéphane Braunschweig, avec Jean-Baptiste Anoumon, John Arnold, Elsa Bouchain, Thomas Condemine, Claude Duparfait, Philippe Faure, Philippe Girard, Christophe Maltot, Thierry Paret, Claire Rappin, Chloé Réjon, Grégoire Tachnakian et Anne-Laure Tondu.
Stéphane Braunschweig monte avec intelligence et sagacité la fameuse tragédie monstre du dramaturge allemand Frank Wedekind, dont il compile les deux opus "L’Esprit de la terre" et "La Boîte de Pandore", et restitue
de manière pertinente le destin mélodramatique de "Lulu", grandeur et décadence d'une jeune femme d'origine plébéienne vue par la focale du déterminisme naturaliste.
Bien évidemment, pour ceux qui la connaisse, il faut oublier la "Loulou" immortalisée par Georg Wilhem Pabst sous les traits de l'iconique Louise Brooks, et s'attacher à la proposition de Stéphane Braunschweig qui voit dans le verbe de Wedekind "une sorte de langage du fantasme" et repose sur
une conviction, qu'il exprime dans sa note d'intention : Lulu "est un dispositif fantasmatique où tout le monde fantasme, y compris le personnage qui est le plus fantasmé".
Cette analyse conforme à la lettre de l'auteur qui avatarise la figure féminine dominante nourrissant le fantasme d'hommes souvent janusiens, exploiteurs et protecteurs, et pour lesquels le sexe suscite autant l'effroi que l'extase, ces deux véhicules de la pulsion de mort qui les conduit inévitablement au pire.
Sa mise en scène, adossée sur ce parti pris totalement intellectualisé, car le fantasme n'est ni chair ni affect, est percutante même si, sur les quatre heures que dure le spectacle, qui ne sont au demeurant jamais pesantes, la démonstration tourne à la récurrence et il tient ce parti pris jusqu'au terme de l'opus avec une distribution efficace et au diapason.
Dans un décor en forme de carrousel, ourdi par Stéphane Braunschweig lui-même, qui cède, certes, à la tendance actuelle du bling bling porno chic, jeu de miroirs, esthétisme glacé et néons situationnels, mais s'avère une pure réussite visuelle transcendée par les lumières de Marion Hewlett, dans le rôle titre, Chloé Rejon, petit gabarit au physique nerveux à la Anouk Grinberg, incarne magistralement la femme-enfant qui mène la danse,
puisqu'en devenant soumise elle est celle qui fait cesser le jeu,
une sarabande macabre qui commence comme un vaudeville et finit en tragédie expressionniste.
Même si elle est souvent dénudée, vêtue de tissus arachnéens aux larges décoleltés et perchée sur des stiletto, Lulu
ne dégage aucune sensualité ni érotisme. Elle n'est qu'une toile vierge sur laquelle se projettent ses métamorphoses. Quant à ce qu'elle est vraiment, c'est bien en amont qu'il faut la chercher, dans son enfance saccagée.
Autour d'elle, les figures masculines principales sont bien pourvues par John Arnold, absolument renversant dans le rôle du père à l'amoralité aussi abyssale que "naturelle" et au pragmatisme d'une cruauté lucide, Philippe Faure, dégoulinant de lubricité en docteur amateur de ballets roses et Philippe Girard en pygmalion phagocyté par une dévorante passion romantique et Claude Duparfait, est méconnaissable et saisissant dans le rôle de la romantique comtesse lesbienne aux allures de Michel Fau.
De la belle ouvrage à voir donc, absolument.
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