L’émoi suscité par son Crépuscule d’une idole retombe à peine que Michel Onfray retourne à l’assaut de Freud. Disons plutôt qu’il se met en position de répondre aux attaques qu’il a dû lui-même subir en retour de son texte. Il est vrai que la réception de l’ouvrage par le grand public fut étonnante, et méritait peut-être une mise au point de son auteur. Ne parlons pas des psychanalystes qui se sentirent attaqués dans leur exercice même (et à raison, même si Michel Onfray s’en défend) et ont adopté une attitude défensive "mordante". Onfray propose une mise au point qui touchera sans doute plus les lecteurs qui étaient intéressés par sa démarche avec la contre histoire de la philosophie, son travail à l’université populaire de Caen, son traité d’athéologie… mais qui ne l’ont pas suivi dans son travail de briseur d’idole dès lors qu’il touchait le maître de la psychanalyse. Il m’est arrivé à plusieurs reprises d’en rencontrer de ces "déçus d’Onfray" qui, alors même qu’ils n’avaient pas jeté le moindre coup d’œil sur le texte, étaient convaincus que cette fois-ci leur philosophe préféré était allé trop loin. Attitude étonnante qui montre combien le personnage de Freud a pris, chez beaucoup, le statut de véritable icône, justifiant ainsi le titre du livre incriminé. Ce livre a déchaîné les passions, tant celles des zélés défenseurs de Freud, que celles des adversaires de la psychanalyse qui avaient enfin les moyens de démasquer le sens profond du jargon freudien.
Ce nouvel ouvrage a-t-il un sens, ou tout avait-il été dit ? Le Crépuscule dune idole représentait dans son essentiel un travail de démystification du freudisme. Cette caractéristique a été suffisamment dénoncée et reprochée à Onfray : que mettre à la place de la psychanalyse une fois qu’on l’a détruite ? Argument étrange puisqu’il sous entend que l’on pourrait se contenter d’une fabulation pour peu qu’elle soit porteuse d’un ordonnancement du monde dont on doit se satisfaire faute de mieux. Onfray présente dans ce second volume les prémisses d’une psychanalyse non freudienne. Au menu, réhabilitation des figures psychanalytiques évincées par Freud : Breuer (inventeur du terme psycho-analyse), qui fut injustement mis de côté et même décrédibilisé par ce dernier, Reich dont les préoccupations de thérapeute ne se cantonnaient pas au cabinet de consultation, mais embrassaient une véritable conscience sociale. Reconsidération, également du rôle de certains philosophes dans ce que pourrait être un nouveau modèle thérapeutique : celui d’une psychanalyse existentielle. Antiphon, six siècles avant notre ère, proposait déjà une thérapie fondée sur l’analyse des rêves et est la preuve, s’il en fallait, que Freud ne doit pas être considéré comme une exception dans l’histoire des idées. Lucrèce et son modèle d’une âme corporelle sont réinvestis suivant le modèle de la thérapeutique épicurienne chère à Onfray. La figure de Sartre et de son existentialisme, est également convoquée : la recherche du projet originaire qui anime chacune de nos modalités d’être au monde et qui n’est pas immédiatement consciente peut être l’objectif d’une thérapeutique.
Plusieurs pistes sont proposées. Malheureusement elles ne sont qu’esquissées alors qu’elles mériteraient un approfondissement conséquent. Au lieu de quoi, il faut reconnaître que la plus grande partie de ce texte reproduit les griefs déjà formulés dans le premier livre pour justifier, sans doute, la probité intellectuelle d’Onfray. Mais la répétition n’est pas un motif d’explication, elle peut même la desservir. En enlevant cette fois-ci le contexte d’analyse des résonances entre les extraits de lettres, anecdotes diverses et la pensée freudienne, Onfray fait tomber son travail dans un simple catalogue de petites histoires qui nous montrent à quel point Freud n’était pas un homme recommandable. Ceux qui ne l’avaient pas sentis dans le premier texte n’en seront sans doute pas plus convaincus par celui-ci, quant aux autres, ils se contenteront de la lecture d’un reader digest qui brise ce qui faisait l’homogénéité du premier opus. Ma conviction est que ceux qui ont lu le Crépuscule d’une idole attentivement ne tireront pas grand bénéfice de cette apostille. Quant aux autres, effrayés peut-être par son volume et par le temps nécessaire à sa lecture, ils passeront à côté de l’essence du premier ouvrage : une analyse nietzschéenne des concepts freudiens ; un premier essai de psychanalyse existentielle de Freud présenté à celui qui aura su le repérer. La différence peut paraître ténue, c’est pourtant elle qui faisait toute l’originalité du travail d’Onfray. |