Si l’on connaît désormais très bien les grands maîtres du cinéma japonais classique (Ozu, Mizogushi, Kurosawa, Naruse), et assez bien la génération née dans les années 50-60 (Oshima, Kobayashi, Ichikawa, Imamura), on a, en revanche, perdu le fil de celle qui prend son essor après 1968.
Il faut donc saluer l’effort louable de la Cinémathèque Française qui sort enfin des sentiers nippons battus en rendant un hommage copieux à Koji Watamatsu, cinéaste prolifique, provocateur et passionnant.
En parcourant une filmographie qui s’étale sur plus de quarante ans, puisque son dernier film est actuellement en salles ("Le Soldat-Dieu"), on comprend pourquoi il n’a pas atteint la renommée de ses devanciers. Watamatsu est en effet un grand formaliste, un maître de la caméra multipliant les audaces stylistiques, mais au service - pour faire simple, voire simpliste - de l’érotisme et de l’ultra-politique. Un peu comme si le Godard de l’époque maoïste n’avait fait qu’un avec le cinéaste érotomane José Bénazéraf.
Ce mélange inconnu en Occident, cette synthèse entre le porno soft et le marxisme-léninisme radical, avait de quoi décontenancer les critiques et les cinéphiles des années 60-70, surtout que Watamatsu ne portait pas en lui la haute culture classique d’un Pasolini.
Aujourd’hui, on est surpris de découvrir un cinéaste aussi longtemps proche des groupes d’extrême-gauche japonais, ceux qui sont passés à la lutte armée, comme l’Armée Rouge Japonaise, connue ici pour ses sanglants attentats (notamment, celui qui ensanglanta un aéroport israélien) et pour l’activité de sa succursale franchisée en Allemagne, la fameuse "Fraction Armée Rouge", dite "Bande à Baader".
Contrairement à Fassbinder, qui a, tout de suite, montré comment le système politique dit démocratique utilisait et manipulait ces activistes, Watamatsu a mis du temps pour s’éloigner du lyrisme révolutionnaire de sa jeunesse. Il ne le fera qu’en 2007 avec "Armée Rouge Unifiée" qu’on pourra voir en janvier à la Cinémathèque.
Mais l’ensemble de son œuvre, faite de films plutôt brefs tournés en quelques jours, peut se regarder hors contexte, comme le parcours d’un authentique artiste charriant les codes de la série B avec tous les éléments de la modernité post- années soixante, du free jazz àl’érotisme, et cherchant à se libérer des carcans de l’exploitation cinématographique capitaliste.
S’il est impossible de pénétrer totalement dans une œuvre abondante jusqu’à la répétition, il est en revanche conseillé de butiner dans ce magma de jeunesse en fusion qui rappellera qu’il y a encore des cinéastes qui ne se sont pas résignés à n’être que des serviteurs du Dieu divertissement.
Souvent inspiré, aimant filmer encore et toujours, as du scope et des jeux sur les couleurs, Watamatsu a parfois les fulgurances d’un Philippe Garrel pour saisir la jeunesse en plein vol, la dérision politique du Mocky soixante-huitard et prolonge les Brésiliens Glauber Rocha et Ruy Guerra dans leur volonté de trouver une expression cinématographique à la fois sans narration et sans déconstruction.
En résumé, un cinéma réservé en priorité aux curieux qui pourront aller se promener à "l’aveugle" parmi les films proposés. Ceux qui préfèrent être guidés iront d’abord voir "Va va vierge pour la seconde fois", "Quand l’embryon part braconner" ou "Sex Jack", les films les plus emblématiques de Watamatsu. |