Comédie dramatique écrite et mise en scène par Yann Reuzeau, avec Walter Hotton, Didier Mérigou, Sophie Vonlanthen, Leïla Moguez, François Hatt et Yvan Lambert.
Yann Reuzeau est manifestement passionné par les jeux de pouvoir et leur arcanes, thématique qu'il a déjà déclinée, en symétrique, au sein d'une famille de nantis et du microcosme des sans abris dans le diptyque "Puissants et miséreux".
Elle constitue le levier et le noeud gordien de son dernier opus en date au titre tout aussi balzacien, "Chute d'une nation", qui se présente, de surcroît, sous forme d'une saga en quatre épisodes, dont chaque volet disposera d'une intrigue et d'une cohérence autonome, se déroulant dans le monde de la politique politicienne.
Format court maîtrisé, écriture incisive et percutante non dénuée de traits d'humour qui atteste d'une analyse lucide et pertinente des moeurs démocratiques contemporaines, le premier volet, intitulé "La petite phrase" entre directement dans le vif du sujet.
Pour initier cette politique-fiction, Yann Reuzeau réussit même le pari de faire l'économie de l'incontournable phase d'exposition pour aborder directement le vif de l'action et dessiner amplement le profil et le moteur des personnages par des dialogues acérés, élagués au rasoir de tout ce qui pourrait les alourdir ou en divertir le sens, qui plantent également tant le décor qu'ils situent l'intrigue.
Il entraîne le public dans une fresque nourrie de constats et de réalités toutes contemporaines puisées dans le réalité-show politique, et plus précisément dans les arcanes des partis politiques en période d'élection présidentielle dans une conjoncture de crise majeure, dans laquelle la stratégie électorale relève de la manipulation à plusieurs niveaux.
A titre principal, le deus ex machina, le tireur de ficelles qui joue l'arlésienne, renonce à sa candidature légitime mais vouée à l'échec qui marquerait la fin de sa crédibilité sinon de sa carrière en armant une tête de pont inattendue en la personne d'un député "anonyme"de son parti.
Walter Hotton incarne parfaitement les états d'âme et l'engagement du député de province timoré mais pétri de convictions de gauche en accord, notamment, avec ses valeurs chrétiennes affirmées, ce qui n'a rien de paradoxal à la lumière d'exemples relativement tel l'affiche de campagne de François Mitterrand avec en arrière-plan un village à l'église particulièrement présente, homme ordinaire sans charisme, sans sponsor, ni parrain politique, intègre et humaniste préférant le labeur à la médiatisation presque candide face aux dinosaures de la politique.
Parmi ces derniers pour qui l'arène politique n'est pas un échiquier mais un tablier de Monopoly dont le but est de passer et repasser par la case "départ" et toucher le pactole même s'ils ne savent pas toujours éviter la case "prison", Yvan Lambert campe avec une grande faconde le dinosaure beau parleur et cynique qui agit davantage avec la flûte du charmeur de serpents qu'avec un programme politique concret.
Autour de ces hommes politiques manoeuvrent de jeunes loups aux dents longues qui, en attendant l'heure de devenir à leur tour sinon chef de meute du moins seconds couteaux, jouent les éminences grises avec plus ou moins d'habileté et de succès dont Didier Mérigou et François Hatt donnent des déclinaisons édifiantes.
Dans ce monde masculin d'ambitieux mus davantage par la quête du pouvoir et de la réussite individuelle que par la gestion des affaires de la cité, Yann Reuzeau a brossé deux magnifiques personnages de femmes, toutes deux excellemment interprétées par Sophie Vonlanthen, en assistante parlementaire à la fois idéaliste et pragmatique, et Leila Moguez, en militante radicale, qui, même si elles ne sont pas totalement dénuées d'aspirations personnelles et prédisposée à être directives, sont animées de vraies convictions politiques.
Avec une distribution judicieuse et aguerrie et la mise en scène cinétique de fondus-enchaînés de Yann Reuzeau signe un spectacle totalement réussi au suspense garanti, de bon augure pour la suite, et éloquent sur la comédie politique. |