Occidental, caucasien, athée, goy, hétérosexuel, progressiste, rationaliste, de gauche, petit-fils de paysans et fils d’ouvriers. J’accumule les raisons de la fermer. Face aux minorités radicalisées, forcément, par le système, je me retourne régulièrement pour vérifier ce qui peut bien peser autant sur mes épaules : ah oui. Il est toujours là. L’héritage post-colonialiste.
Casey est dans l’autre camp, mais elle n’a jamais abusé de sa situation. Je ne me suis jamais senti directement visé en l’écoutant (son humour sait désamorcer tout sentiment de culpabilité), activité à laquelle je m’adonne avec grand plaisir – j’ouïs sens – depuis sa programmation dans un festival hip-hop stéphanois il y a quelques années.
M’accuser de masochisme reviendrait à occulter la chimie inexplicable, le respect irrationnel qu’inspire simplement l’art quand il est si bien fait. Casey, c’est de la littérature.
"Alors oui, je rabâche", dit Casey dans "La marque de la chaîne", pour régler une fois pour toutes l’éventuelle critique que l’inconscient (ou le sourd) pourrait formuler. La réalité, c’est que Casey scande ses textes à chaque fois comme si c’était la dernière. Sa colère est sincère, et grandissante, à entendre le bel éraillement de sa voix sur "Les contes du chaos".
Le sens de la rime est toujours inégalable : "J’ai plus de mille pages où j’éponge tous mes songes et vertiges, et les nombreux mensonges sur mon héritage et ses vestiges. Moi, j’ai fait mon stage dans les tours et les étages, les cités où l’on court pour éviter les arrière-cours et l’abattage" ("Carnet de ma cage"). Le rythme des mots de son co-MC B.James est, lui aussi, impressionnant. "Faire coexister rap et rock" (ce que Casey a d’ailleurs toujours revendiqué), annonce-t-il comme un postulat.
Coexister ne veut pas simplement dire coïncider. On pourrait plutôt parler d’une collocation réussie, de deux équipes qui font corps, malgré le "vs" qui les sépare sur la pochette. Mais c’est vrai, ça sent aussi le combat. Le fight club, où l’on s’envoie des marrons dans un vertige hilare.
Zone Libre, une batterie, une guitare, une basse, reprend l’énergie et la dignité là où Rage against the Machine les ont laissées. Certes, on perçoit bien souvent la patte (pour ne pas dire les plans) Teyssot-Gay : le son typique de la Gibson, les notes aiguës et aiguisées, le gros refrain qui tâche. À 48 ans, le Stéphanois (tiens tiens) ne va pas se refaire. Mais il s’agit de musique noble, d’ardeur jamais mal-placée. Le groupe a d’ailleurs enregistré live et le revendique, comme pour (se) prouver l’infaillibilité de son authenticité.
Pour décrire l’esthétique sonore des Contes du chaos, on pourrait faire le rapprochement avec Agent réel de Programme, grand disque honteusement oublié des classements de 2010 (y compris par votre serviteur ; la honte). Ça coupe, ça charcute, ça laisse des ecchymoses. Comme disait Michniak : "J’écris avec la même application que je coupe ma viande". Vous êtes deux en France à le faire, et on en redemande. |