Spectacle conçu et mis en scène par Enrico Casagrande et Daniela Nicolò, avec Silvia Calderoni, Vladimir Aleksic, Benno Steinegger, Alexandra Sarantopoulou et la collaboration de Michalis Traitsis et Giorgina Pilozzi.
Alors que la troupe Motus est en train de travailler sur Antigone en Grèce, survient l'assassinat d'Alexandros Grigoropoulos, 15 ans, par un policier. Les émeutes qui s'en sont suivies en 2008 ont été les pires violences civiles que la Grèce ait connu ces dernières décennies.
Les membres de la troupe sont touchés par l'émotion collective qui secoue la jeunesse grecque. Ils assistent aux émeutes et s'interrogent sur la durée des violences et de la colère qui agite les participants, alors qu'en Italie les manifestations ne durent pas et que la révolte ne prend pas sur le terreau des contestations.
De plus, ils font un parallèle entre le mythe d'Antigone qui brave le peuple de Thèbes pour accomplir les rites funéraires pour son frère Polynice, bien qu'elle risque d'être lapidée. Le corps d'Alexandros Grigoropoulos avait été abandonné sans vie sur la voie publique par les forces de l'ordre.
Antigone a toujours été une allégorie de la résistance face à l'oppression, et Jean Anouilh a d'ailleurs monté sa propre version d'Antigone suite à l'action de Paul Collette qui, en 1942, ouvrit le feu sur un groupe de dirigeants collaborationnistes.
Mélangeant vidéo, diaporama, son amplifié, la mise en scène de Enrico Casagrande et Daniela Nicolò repose un rythme effréné. Les mots sont parfois hurlés, les acteurs courent autant sur la scène que dans les travées. Les membres de la troupe interprètent cette pièce de manière viscérale.
Esthétiquement, le spectateur entre dans une salle enfumée, comme par des bombes lacrymogènes, des néons oranges et rouges au sol donnant une impression d'embrasement. Les acteurs vont même jusqu'à allumer un véritable feu sur scène.
Au-delà de la violence engendrée en raison de l'assassinat du jeune Alexandros, la troupe analyse les manifestations, parfois violentes, qui ont eu lieu en 2010 en Europe (Grèce, Italie, France, Espagne, Portugal, Irlande, Grande-Bretagne...), puis plus récemment dans les pays arabes, comme des actions de résistance citoyenne face à un système politique et économique qui a pour unique but de maintenir les peuples en état d'asservissement au profit des puissants en place.
Politique, cette pièce est surtout engagée. Le message est celui de la révolte, les acteurs viennent chercher les spectateurs dans la salle pour renforcer leur nombre sur scène et mimer le jet de pavés.
A l'heure où le livre de Stéphane Hessel "Indignez-vous !" est en tête des ventes depuis de nombreuses semaines, cette pièce entre bien évidemment en résonance avec un sentiment de révolte sociale qui croît en France, en Europe, dans les pays du bassin méditerranéen mais aussi dans d'autres pays en développement. Paul Raynal, essayiste et auteur de théâtre du XXe siècle écrivait dans "Histoire philosophique" : "La force de ceux qui gouvernent n'est réellement que la faiblesse de ceux qui se laissent gouverner", une phrase que la troupe Motus pourrait faire sienne.
Certaines poses paraissent pourtant parfois plus prétentieuses qu'osées, certaines analyses plus rapides que profondes. Il convient néanmoins de saluer un théâtre qui cherche à renouveler la forme, qui cherche à établir un lien entre classique et moderne, entre expression artistique et voix populaire, entre vision intime et projection médiatique des évènements. Mais surtout, cette jeune troupe redonne de la vigueur au théâtre politique européen qui, depuis Dario Fo, semblait bien endormi. |