Réalisé par Hicham Ayouch. Maroc. Drame. Durée : 1h15. (Sortie le 6 avril 2011). Avec Abdelsselem Bounouacha, Marcela Moura et Noureddine Den.
Attention Tanger. Le Tanger où rôdent les silhouettes titubantes de tous les clochards célestes, de tous les éthyliques beatniks échoués à mauvais port pour de lourdes raisons existentielles ou de sombres prétextes littéraires. Le Tanger des privilégiés de la mouise, de l’overdose et du delirium tremens.
Attention Tanger. Bien loin des printemps arabes et des revendications politiques, mais tout près de saisir l’air d’un sale temps où tout redevient possible, même la vaine démocratie parlementaire comme de l’autre côté de la Méditerranée.
Attention Tanger. Le Trio de "Fissures" n’est pas celui d’un "Jules et Jim" arabe. Aucun romantisme, aucun marivaudage. On n’y entend pas une belle langue off, on n’y vante pas de beaux sentiments. Non, les cérébraux de la Nouvelle Vague ne peuvent rien pour ses deux hommes arabes et leur femme brésilienne. On y renifle le malheur, les expériences limites caméra sur l’épaule exacerbées par une image d’une saleté presque repoussante, la seule qui puisse convenir àl’enchevêtrement de ces trafics de détresse qui s’affichent à l’écran.
Le spectateur qui prendra le risque d’aller partager ce moment dérangeant sera projeté dans un espace-temps qu’il ne connaît ou qu’il a oublié : celui d’un cinéma post-Mai 68 qui croyait, dans la même ferveur laissant grande part à l’improvisation, que tout était possible, même de montrer de la poésie dans une salle obscure.
On pourra peut-être y voir la fugace influence du premier Garrel, avec parfois des plans fulgurants de beauté instantané, comme ceux qui initient ou concluent le film. Certes, au mutisme de Garrel Hicham Ayouch préfère l’âpreté d’une langue pleine d’injures et de scories.
Si l’on voulait ressusciter un mort cinématographique encombrant, on dirait qu’on est dans du vrai Art et Essai. Avec quand même, pour mal parler, un héritage "arty" issu des performeurs vidéos s’intéressant àl’intimité en cadrant son espace dans une géométrie systémique.
Bien sûr, on ne niera pas tout ce qu’il y a de transgression pour un cinéaste arabe vivant dans une société qu’on imagine puritaine às’attacher à la sensualité d’une femme réduite aux fonctions organiques de l’amour et de la boisson.
Pourtant on refusera de conclure que "Fissures" est un pamphlet provocateur en pays d’Islam et l’on supposera qu’Hicham Ayouch et ses interprètes incandescents voient artistiquement plus loin.
C’est donc comme un film universel et non pas comme un symptôme d’un instant historique qu’il faut recevoir "Fissures". Recevoir ou rejeter, car ce film assurément fragile est tout sauf aimable...
Attention, Tanger ! |