Comédie dramatique de Carole Fréchette, mise en scène de Patrick Rouzaud, avec Pascale Bouillon et Didier Forest.
"Jean et Béatrice" est l'une des pièces de la dramaturge québécoise Carole Fréchette régulièrement à l'affiche tant la confrontation mythique homme-femme fascine toujours et ce, d'autant plus que le texte, qui par le travail de la parole et le traitement de l'étrangeté du quotidien l'inscrivent dans le registre des auteurs anglais tels Harold Pinter ou Martin Crimp, plus complexe qu'il n'y paraît, laisse ouvert le champ interprétatif.
Dans un huis clos expressément indiqué, une chambre dans un gratte-ciel urbain auquel il faut accéder par les escaliers faute d'ascenseur fonctionnel, une femme reçoit un homme qui a répondu à sa petite annonce. Elle, fille de l'inventeur milliardaire de la poubelle en plastique, cherche l'oiseau rare, "un homme qui pourra l'intéresser, l'émouvoir et la séduire" , avec en contrepartie une "récompense substantielle". Lui est un chasseur de primes pragmatique.
Cette pièce est généralement entendue comme une déclinaison syncrétique de l'éternel malentendu des sexes, entre la femme sentimentale et l'homme matérialiste, qui revisite le conte, avec sa tour d'ivoire et la quête du prince charmant, le jeu du chat et de la souris marivaudien et le parcours atypique de la carte du Tendre qui vire à la scène de ménage.
Patrick Rouzaud renouvelle l'exercice en substituant le rapport patient-thérapeute à celui de la rencontre amoureuse anonyme. Jean devient "un chasseur d’ombres, un infirmier des âmes" qui, se prêtant au jeu dans les différents scénarios scandés par la narcolepsie de Béatrice, va conduire son analyse. Une analyse qui révèle, à travers la mythomanie, une personnalité schizoïde et surtout une femme en dérive affective.
Dans la mise en scène sobre et efficace de Patrick Rouzaud, ce parti-pris tient la route grâce au jeu de deux excellents comédiens toujours sur le fil du rasoir qu'est la frontière entre la normalité, le réel et l'affabulation.
Didier Forest, oscillant entre le bon gros nounours protecteur et l'ogre manipulateur, est parfait pour assurer la crédibilité des jeux de rôles face à Pascale Bouillon qui dispose d'une belle palette de jeu et de la maîtrise des nuances pour incarner cette femme polymorphique qui se donne et se dérobe.